Un de mes quartiers préféré est le 3e arrondissement, surnommé le haut marais, une merveille du vieux Paris entre République et la rue des Francs Bourgeois.
J’y ai eu ma boutique du temps de mes propres bijoux, et j’avais plusieurs QG : le café Charlot à l’angle des rues de Bretagne et Charlot dont la terrasse est un véritable défilé de looks, la petite cantine japonaise dans le marché des enfants rouges, le resto Café-crème face à cette perle d’architecture qu’est Le Carreau du Temple, le charmant petit resto thaï Ya Lamaï de Rose, le bio japonisant Nanashi rue Charlot, et le café La Perle, the place to be à partir de 19h.
Le 3e n’est pas un quartier de Paris, c’est une petite ville à lui tout seul, avec son éco système, ses créateurs toujours à l’avant garde, ses associations culturelles et caritatives multiples, ce savant mélange d’artistes, d’artisans d’un autre siècle, de modeuses, de jeunes espoirs du cinémas français qui ne se prennent pas encore la tête, et de vraies célébrités qui s’encanaillent dans le 3ème pour se faire pardonner leur profond attachement aux quartiers plus chics mais plus blings.
Venant du métro Michel Ange Molitor, j’ai eu l’impression, pendant les 5 ans de mon enracinement professionnel dans le 3e, de faire quotidiennement un grand voyage. Entre la rue Charlot et la rue Molitor, il y a un monde, qui ne se croise jamais. Et alors que je croyais avoir réussi à m’intégrer parfaitement dans cet univers étranger, on m’avait définitivement collé l’étiquette de « La blonde du 16 », les socio-styles parisiens ont la vie dure…
De façon récurrente, je retourne dans le 3e, soit pour y déjeuner avec mes amies créatrices, Louise Hendricks ou Marie Laure Chamorel, soit tout simplement pour y humer l’air du temps, qui là-bas est véritablement électrique.
La dernière fois que j’y suis allée, j’avais décidé d’interviewer Magali Pont, la créatrice d’AIME, une marque que j’aime depuis ses débuts pour sa poésie et les voyages qu’elle nous fait faire dans l’espace ou dans le temps.
Quand on s’est vues au café Charlot avec Magali en Juillet, elle était en pleine vente privée de sa collection d’été, et elle sortait de 3 nuits blanches pour repeindre en bleu profond son atelier-show room, juste pour l’occasion, cédant ainsi à sa dernière pulsion décorative :
« Je suis complètement débordée en ce moment, je suis sous eau, alors je me suis dit qu’il fallait absolument que j’exprime ça en faisant un décor sous marin, sous l’océan, dans le grand bleu, quand on peut plus respirer, tu vois ?
Euh oui Magali, sauf que moi quand je suis débordée je me mets pas à repeindre mon appart la nuit en rose bonbon. Dans cette petite anecdote, j’ai relevé des indices de la personnalité de Magali: fougueuse et impétueuse, un tantinet hyperactive, un brin fantasque.
Avec sa voix grave à la Dany, elle a demandé du feu au voisin, un café au serveur, s’est excusée de ses doigts encore teintés de peinture bleue, et a commencé à me raconter son parcours, sans prendre son souffle.
Magali Pont a commencé par le début, quand elle était une enfant unique un peu seule, qui se cherchait et qui voulait avant tout, être aimée. Elle me raconte ses deux années d’histoire et d’archéologie, qui lui ont laissé un souvenir teinté d’émerveillement :
« L’histoire, tu cherches, l’archéologie tu fouilles, j’aimais bien ce coté chasse au trésor, et puis j’étais dans de beaux endroits de Paris. »
Mais, finalement, elle ne se sent pas à l’aise dans des études théoriques, elle a besoin d’action, et de gagner de l’argent. Elle lâche la fac et se lance dans plein de petits boulots, elle fait le mannequin à ses heures, je sens qu’elle n’a pas trop envie d’en parler, mais je vois bien qu’avec son look androgyne et son regard ardent, elle incarne assez bien une gouaille parisienne qui a grand style.
Un jour qu’elle emballe des paquets cadeaux au Conran shop de la rue du Bac, elle tombe sur Laetitia Ivanez (enfin c’est plutôt Laetitia qui lui tombe dessus…), la créatrice des Prairies de Paris. Celle-ci a besoin d’une assistante et séduite par Magali, lui propose un job sur-le-champ.
Magali me confie que cette rencontre va orienter sa vie dans les 6 années qui suivent. Entre les 2 jeunes femmes, c’est une entente parfaite, professionnelle et humaine. Magali admire le talent créatif et la personnalité charismatique de Laetitia , et celle ci s’appuie beaucoup sur Magali, la forme, la coach et en fait sa muse. Petit à petit, s’établit entre elles une relation forte, ancrée dans la transmission. Magali se voit confier la réalisation des bijoux pour la ligne des Prairies de Paris et elle commence à ce moment à imaginer des bijoux, et à les réaliser. Elle adore ce nouveau métier, et c’est à ce moment qu’elle décide de prendre son indépendance.
Dans ce que me raconte Magali, il y l’avant Laetitia, quand elle n’était qu’une jeune fille en quête d’expérience et de protection et l’après, quand elle devenue la jeune femme décidée et indépendante, créatrice de la marque AIME, et maintenant d’une deuxième marque de petite joaillerie CHARLET par AIME .
Dès sa création en 2009, AIME a séduit Merci, le Bon Marché, et les plus jolies boutiques de mode et accessoires de Paris et de province, et elle est entrée directement par la grande porte au salon Première Classe des Tuileries, la super classe …
Ce qui séduit dans son travail, ce sont les petites histoires de chaque collection, puisées dans des thématiques fortes (les bijoux de cheveux de Frida Khalo), des mélanges de matières (plume, métal brossé, corne, coquillages, émail), et de ses inspirations ethniques, rétro, ou iconiques. Elle travaille beaucoup et se renouvelle sans cesse, avec 2 collections par an et à chaque fois 120 pièces nouvelles, une vraie performance.
Elle est très prolifique et à chaque saison, elle invente une nouvelle histoire, qui se traduit par une déco époustouflante comme elle vient de le faire en 3 jours dans son showroom en créant un décor digne de 20 000 lieues sous les mers, ou sur son stand du salon des Tuileries envahit par des grappes de mimosa en mars dernier.
Dans la réalisation de ces petits happenings, elle n’est pas toute seule . Elle m’avoue qu’Hadrien, son amoureux, père de ses 2 enfants et plasticien de formation, l’aide entre autres dans la conception et la réalisation des décors de la marque. Je comprends mieux, AIME, aimer, être aimé, partager, transmettre, ces mots sont la clé de voûte des moteurs de Magali, de son travail et de ses créations.
L’heure tourne, après deux cafés, trois cigarettes, et quelques confidences, Magali doit retourner au show room, la pause est finie. On se fait la bise sur le trottoir de la rue Charlot qui nous est si familier. Je la regarde filer, elle est déjà partie pour un nouveau moment intense qui efface le précédent, impatiente et fougueuse, amoureuse de l’instant présent, comme une injonction : AIME !