Il y a des lieux mythiques que l’on s’approprie à titre personnel, et cette sorte d’OPA affective mérite que je m’y attarde, quand il s’agit du grand magasin Le Bon Marché, et de mon rapport assez passionnel avec les bijoux.
Je m’y suis toujours sentie bien, ce qui constitue en soi un paradoxe, parce que pour tous les autres grands magasins, rien que d’en passer la porte, j’en ai déjà la tête qui tourne.
Mes rapports avec Le bon Marché sont devenus professionnels il y a quelques années quand j’ai créé ma marque de bijoux. C’était mon premier client, j’en ai conçu une immense fierté, mes petites pierres de couleur s’y vendaient comme des petits pains, je connaissais par cœur l’entrée des fournisseurs rue Velpeau, et le box minuscule dans lequel me recevait l’acheteuse à l’époque était pour moi le plus beau bureau du monde.
Quand j’y suis retournée il y a quelques mois dans le cadre d’une mission pour un créateur de bijoux, j’ai eu l’impression familière de « revenir à la maison ». Retrouver les longs couloirs austères des bureaux, et découvrir le labyrinthe des stocks au sous sol , c’était un peu entrer dans la peau du fantôme de l’Opéra, vivre les coulisses de cette extraordinaire machinerie commercial du luxe, faire un voyage dans le passé, et sans doute y rencontrer ses incroyables créateurs, Marguerite et Aristide Boucicaut.
Qu’est ce qui est passé par la tête de Marguerite et Aristide quand ils ont racheté en 1863 cette grande mercerie employant 12 personnes, qui vendait tissus et rubans ? Une vision incroyablement juste, à l’avant-garde, Marguerite et Aristide étaient des génies du commerce moderne, incroyables visionnaires, sortes de Bernard Arnaud avant LVMH, de Kotler et Dubois avant l’ère du Marketing. En plein 19e, ils avaient déjà inventé l’assortiment large et profond, la vente de masse à faible marge, la livraison à domicile, les catalogues de mode, et la publicité en affichage.
Whaou ! Rien que de voir la photo de Marguerite, qui est le sosie de l’actrice américaine Katy Bathes dans le Titanic, on comprend tout ! Corpulente et généreuse, femme de tête et femme de cœur, bourgeoise mais féministe, en voilà une qui n’a pas attendu la libération de la femme et le jet aux orties des corsets pour faire une œuvre. Certes commerciale, certes avec son mari, mais une oeuvre qui est aujourd’hui le fleuron des grands magasins Parisiens.
Et puis Marguerite, je l’imagine, devait être un peu comme notre Inès d’aujourd’hui, la Pythie du bon goût parisien rive gauche. Ella avait déjà pensé à tout, et c’est hallucinant de voir que ce qu’elle a créé il y a un siècle et demi n’a finalement pas bougé d’un iota.
D’abord le nom. Que peut-il y a voir de mauvais le Bon marché ? Rien, rien que du bon.
Ça sonne bonne qualité, fait main, sur mesure, dès la fin du 19eme, Marguerite avait recruté des vendeuses irréprochables habillées de noir, pour remplacer les vendeurs qui devenaient gênants pendant les essayages de ces dames. Le noir est resté la couleur chic des conseillères de vente, indétrônable.
Un peu compassé me direz-vous, ben oui c’est sur, pas de délires créatifs branchés au Bon Marché, tenue et contrôle de rigueur, pas de techno en fond sonore et pas de looks déjantés , et de bon marché, plus grand chose.
Ça sonne aussi très cocotte, féminin, fanfreluches, Nana de Zola et Odette de Crécy, à une époque (bénie ?) ou les femmes pouvaient passer 5 heures dans le magasin à faire des essayages, pendant que Monsieur lisait son journal et fumait son cigare dans une salle spéciale dédié à cet usage. Aujourd’hui, monsieur pousse la poussette avec Madame, il ne fume plus le cigare, mais il est toujours la, patient ou impatient, c’est selon.
Et puis le flair incroyable dans le choix de ce quartier unique, la rive gauche, aux confins du 7e et du 6e, au carrefour de l’intello et du chic, le luxe sans le bling, le charme discret de la bourgeoisie qui abrite la Catherine Deneuve de Buñuel et l’écrivaine Christine Orban, entre la prestigieuse école Sciences PO et le mythique Lutécia, lui même créé au début du 20ème sous l’influence de la judicieuse Marguerite, qui voulait un palace à la hauteur de sa clientèle prestigieuse.
Et puis il y a le lieu. On n’étouffe pas au Bon Marché, on respire. Les grands architectes de l’époque étaient aussi des visionnaires, et les agrandissements réussis de Louis Charles Boileau et Gustave Eiffel laissent passer la lumière du jour via les verrières restaurées, créant ce lieu magique, la Table, pour déjeuner au-dessus de la grande Epicerie. Moi je reste en général dans l’ancien bâtiment, je me fais des pauses déj entre copines chez Rose Bakery à base de trucs archi bios et de lâchages gâteaux mémorables, et les déj plus pros à l’Italien près de la librairie, dont les grandes fenêtres ouvrent sur le square éponyme du mémorable couple Boucicaut.
Mais enfin, ce qui fait que je m’y sens bien, c’est que je sais que toutes les marques que j’aime y sont, et que je peux y découvrir de nouvelles qui, c’est sûr, vont me plaire. J’ai la certitude qu’au Bon Marché, jamais ma vue ne va se poser sur un truc moche. Tout est joli, bien présenté, bien arrangé, bien sélectionné, c’est un peu le guide de ce qui se fait de mieux du point de vue de La Parisienne Rive gauche … et aussi pour les autres qui considèrent que La Parisienne Rive gauche est, comme Marguerite il y a plus d’un siècle, ou comme Inès aujourd’hui, la Pythie du bon goût.
Côté joaillerie, c’est au voyage que nous invite le nouvel espace du Bon Marché.
Bien sûr il y a les incontournables de la place Vendôme, mais ce n’est pas pour eux, vous les connaissez déjà, que je vous invite à faire un tour au rez de chaussée réenchanté de l’ancien bâtiment.
Ce qu’il faut y voir absolument , ce sont les perles sublimement épurées du Japonnais Tasaki, les formes organiques et incroyablement Art Nouveau du Brésilien Fernando Jorge, les nouveaux portés hippie-chic de la californienne Jacquie Aiche, les articulations diamantées aériennes du grec Yannis Sergakis, les perles en équilibre design de la franco-grecque-londonienne Mélanie Georgacopoulos, et les couleurs douces des tailles anciennes du Libannais Selim Mouzannar.
C’est aussi ça que j’aime dans le bon Marché, c’est cet art de voyager partout dans le monde, mais toujours, n’est-ce pas Marguerite, dans le sein du sein du bon goût parisien…Rive gauche.
J’ai vécu à côté pendant des années, d’un côté ou de l’autre, au gré des déménagements, mais toujours dans le coin. J’y avais mes « marques » ou plutôt mes repères et bien sûr mes marques…J’y achetais tout, même les couches pour les filles ! Alors, Sylvie, tu prêches une convaincue même si cette fois, 800 kilomètres m’en séparent. Mais il faut que j’y fasse mon pèlerinage quand je fais un saut à Paris. Alors c’est promis, ma prochaine escapade sera pour le Bon Marché avec un détour par les stands de bijoux ! Merci pour cette balade virtuelle qui me maintient ( à bon marché) dans le vrai bon goût parisien. Etre informée est déjà un grand pas et la tentation est tellement délicieuse !
oui c’est ça qui est top dans ce Bon Marché, il est resté un lieu incontournable de shopping pour la clientèle du quartier, et maintenant il est totalement international !
Merci Edith !
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