La troisième rencontre de ma journée découverte ressemble à un speed-dating.
Je ne connaissais pas la créatrice de la marque yv.delloye que j’allais rencontrer. J’avais découvert ses créations chez By Marie il y a quelques mois et j’avais flashé sur ses bagues en tourmalines baguettes. Au sens propre du terme, car cette taille inédite potentialise la diffraction de la lumière dans la pierre en y allumant un fulgurant rayon, façon épée de lumière de Star Wars (ceux qui sont fans m’auront compris, pour les autres, je les renvoie à la célèbre saga inter-galactique).
J’avais essayé toutes ses bagues aux formes architecturales d’un grand raffinement, et je m’étais dit que c’était vraiment beau, réalisé avec virtuosité, et surtout inédit.
En écrivant mon dernier post sur les tourmalines, j’ai repensé à ces bagues et j’ai cherché la marque yv.delloye sur Instagram. Dans la bio on peut lire : « des pièces uniques réalisées dans un prestigieux atelier de joaillerie parisien», mais rien sur l’identité du (de la) créateur (créatrice). J’ai envoyé ma bouteille dans la mer Instagram et on m’a tout de suite répondu, la créatrice s’appelle Claire.
On a parlé un bon moment au téléphone, une longue conversation animée parce qu’on se découvrait plein de territoires communs et qu’elle était aussi curieuse de moi que moi d’elle. Elle m’a raconté sa passion pour la tourmaline évidemment, mais surtout l’histoire de sa famille maternelle. Une lignée habitée par le gout des beaux objets, de l’architecture et des bijoux d’exeption, une mythologie transmise dans son enfance par son grand-père adoré, Yves Delloye, à l’origine du nom de sa marque.
Elle m’a aussi parlé de son ancien métier de directrice artistique au Musée des Arts Décoratifs, expérience décisive qui a forgé son goût pour les objets arts décoratifs et du savoir-faire français liés à l’exigence du sur-mesure. A ce moment j’ai entendu le son d’un bébé qui gazouillait à coté d’elle, c’était sa dernière fille qui commençait à avoir faim.
Je lui ai parlé de ma journée découverte de nouveaux talents, bien sûr qu’elle était OK, bien sûr que ça devait se faire dans son atelier qui est le meilleur de Paris, et oui elle acceptait les photos, mais pas d’elle parce qu’elle déteste se mettre en scène. Je l’ai rassurée je suis pareille, mais j’ai une photographe géniale qui arrive à faire des jolies images même avec des filles récalcitrantes comme nous. Elle a rigolé, le rendez-vous était pris.
Nous sommes arrivées avec Delphine dans son atelier situé dans le quartier du haut-marais, dans ce genre de vieil immeuble un peu chelou qui recèle le secret d’un artisan à chaque étage.
Entrer dans un atelier qui travaille pour les grandes marques de la place Vendôme, c’est un peu entrer à Fort Knox. Une fois la porte blindée franchie, on s’est retrouvées dans un appartement où chaque pièce est consacrée à un des métiers de la joaillerie : le dessin 3D, les moules à cires perdues, le sertissage, le polissage, le traitement de surface.
Claire nous accueille masquée, j’ai devant moi une grand fille mince en pantalon de cuir et pull jaune pâle, les cheveux attachés en chignon pétard, une tenue un peu rock qui dit « J’ai pas mis mon habit de lumière, il faut me prendre comme je suis ». Elle nous entraine vers la pièce du fond, juste une pièce avec une table en formica et pas de chaises, on est dans un atelier ici, pas dans un boudoir de la place Vendôme.
Claire est speed, elle a un rendez-vous avec une cliente dans une heure, il faut visiter l’atelier, il faut regarder ses bijoux, il faut faire des photos, il faut parler d’elle, ça fait beaucoup.
Je lui demande l’autorisation d’enlever mon masque, no problème, elle enlève le sien, je vois enfin le visage de Claire. Ça m’échappe, je la trouve juste canon et je lui dis. Avec les yeux au rayon vert façon tourmaline, vient aussi un sourire ravageur et une myriade d’expressions furtives qui se succèdent en une micro seconde sur son visage. Claire est une sorte de tornade énergétique à elle toute seule !
Un jeune homme qui se présente comme le chef d’atelier nous propose la visite, c’est parti, on passe d’une pièce à l’autre, j’aime voir les mains habiles travailler le métal, c’est magique d’observer le ballet de ces gestes d’une précision millimétrée qui vont façonner une pièce d’exception.
Delphine sort son appareil, Claire sort ses bijoux, on part dans une séance photo à l’arrache entre nature morte des bagues sur l’atelier de bois, portrait de l’artiste survoltée et onomatopées enthousiastes à l’essayage de chacune de ses bagues extraordinaires.
Les artisans nous ont laissé l’espace, on est décidément trop speed pour ces gens qui travaillent depuis toujours dans le calme et la maitrise, le rythme posé de la haute joaillerie.
Si Claire a peu de modèles à nous montrer, chaque pièce est une petite prouesse à elle toute seule. Elle m’explique que son cœur ne bat que pour les pierres à la taille atypique. Les tourmalines baguettes bien sûr, mais aussi les « slices » aux contours aléatoires, et les diamants princesses (carrés), baguettes, coussins, troïka, bref tout excepté la taille brillant qui ne lui fait pas lever un cil.
« Ce que j’aime avant tout, c’est me laisser porter par la forme unique de la pierre, et de trouver la structure qui va la magnifier. Alors oui je suis très inspirée par les formes art-déco, mais c’est justement parce que je suis obsédée par le challenge de trouver une structure légère, évidente, sans fioriture inutile. Alors je traque le moindre détail superflu, je suis une obsessionnelle des proportions, une dingo de l’épure. »
Je regarde Claire s’animer sous l’objectif de Delphine, la grande fille un peu sauvage s’amuse à des poses félines avec sa blouse de travail et ses cheveux en pétard. Je me dis que cette fille ressemble un peu à ses bijoux, ou plutôt que ses bijoux lui ressemblent, il y a dans toutes ses créations ce paradoxe entre la radicalité géométrique des formes et la chaude intensité des pierres, le feu sous la glace.
Elle passe au petit doigt la bague qu’elle vient de finir, une commande spéciale avec un diamant taille brillant qu’on lui a confié pour le remonter « à sa façon ».
La bague est une pure merveille art déco, elle ressemble aux volumes de l’architecte autrichien Adolphe Loos, le précurseur du dépouillement intégral dans l’architecture moderne, un des mentors artistique de Claire, au même titre que Suzanne Delperron ou Eileen Gray, deux femmes designers célèbre de la période Art Déco qui inspirent son travail.
Elle m’explique que dans son métier, ce qu’elle aime avant tout, c’est la conception de pièces uniques. Elle s’exclame :
« J’aime le risque ! La contrainte imposée par la personne qui me demande un bijou, la contrainte budgétaire, la contrainte de la pierre ! C’est comme ça que je me dépasse. Je déteste le ronron marketé, ça me saoule. »
Le feu sous la glace je vous dis.
La lumière de l’atelier est un peu dure, on n’a pas beaucoup de place, Delphine s’agite autour de nous pour faire les meilleures photos dans le milieu le plus hostile qui soit… Le résultat est là, j’aime bien ces photos prises sur le vif, elle vibrent de l’intensité du moment !
Claire demande l’heure, la sonnette de l’entrée retentit, c’est sa cliente. Claire s’excuse, nous laisse avec ses bijoux en vrac, nous souffle un good bye, et détale avec sa bague sur mesure au doigt, pourvu que ça lui plaise !!!
Delphine remballe ses objectifs et moi les bijoux, retour au calme, retour vers la pièce à la table en formica pour reprendre nos sacs, on se salut vite fait parce que la cliente est là, extatique devant sa bague. On sort de Fort Knox, direction notre dernier rendez-vous de la journée.
Je viens de vivre un speed-dating avec une nouvelle comète du ciel de la joaillerie parisienne. Quand il y en a une comme ça qui passe, il faut ouvrir grand les yeux, ne surtout pas la rater, et suivre sa trajectoire !
Texte Sylvie Arkoun
J’adore !!!!!!!!!
Les bijoux, la créatrice, l’écriture de la journaliste !
Merci Paula ! ✨