Ça fait un bail que je cherchais un homme à interviewer, parce qu’au niveau parité dans mon blog, je ne suis pas du tout dans les clous.
Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais dans les bijoux et la création au sens large, je rencontre plus souvent des femmes que des hommes et je le déplore. En amitié, dans le travail, en amour ou en général, personnellement je ne pourrais pas me passer des hommes, n’en déplaise aux warriors du féminisme radical…
Je pourrais vous faire une thèse sur le féminisme que j’ai chevillé au corps depuis mes 3 ans et demi, mais c’est une autre histoire… il n’en reste pas moins que si la science est un domaine essentiellement masculin, la mode, les bijoux et la déco restent des univers où la sensibilité féminine prédomine. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’hommes.
Alors quand Sophie Pfeffer de la marque 5 Octobre m’a parlé de Régis Godon et de sa galerie Ailleurs, j’ai sauté sur l’occasion. Un peu de testostérone dans le monde des Précieuses ça peut pas faire de mal ! Et puis les rares hommes que j’ai interviewés dans mon blog sont des figures dans le domaine du bijou et de la joaillerie, de Selim Mouzannar à André Gas en passant par Jean Grisoni et Walid Akkad. Alors je me suis dit qu’un nouveau dans la déco, c’était la pépite à ne pas manquer.
Chez Sophie, j’étais tombée en arrêt devant ses miroirs au piqué vintage, ses céramiques à la patine antique et ses verres aux camaïeux de cobalt à céladon. Sa sélection était parfaite, sans doute parce que tous ces objets mettaient merveilleusement en valeur ses bijoux, le pas était fait. Quand j’ai appelé Régis, il m’a dit qu’il était un peu débordé après un mois de confinement à gérer toutes les commandes sur son site, mais qu’il aurait rangé la galerie pour ma visite, j’étais donc la bienvenue.
Je suis arrivée à la Galerie Ailleurs du 17 de la rue Saint-Nicolas le matin à l’ouverture, parce qu’en ce moment il y a du monde m’avait-il dit. Les gens sont tous sortis de leur tanière après ce deuxième confinement, on sent dans l’air le frétillement de la pulsion d’achat. J’ai moi-même succombé à une boulimie compulsive dès le samedi de la réouverture des boutiques. Peut-on être féministe et féminine, c’est-à-dire en même temps une femme libre et autonome tout en étant coquette et futile ? Un vrai sujet, je vous dis…
La rue Saint-Nicolas est une toute petite rue transversale à la rue du faubourg Saint-Antoine derrière la Bastille, un des plus vieux quartiers de Paris qui reste le fief des fabricants de meubles, de l’école Boulle et de la célèbre boutique Caravane, un village où les vieux immeubles cachent des ateliers d’artisans et de charmantes cours pavées d’un autre siècle. Régis a installé sa galerie dans un de ces lieux cachés, un ancien atelier d’ébéniste abandonné depuis 40 ans, auquel il a redonné vie.
Dès que j’ai poussé la porte, j’ai eu l’impression de pénétrer dans un lieu extraordinaire, propulsée dans un ailleurs géographique et temporel.
Il y avait bien un joyeux bazar et quelques cartons de commandes à livrer, Régis était chahuté entre le téléphone, le déballage d’une livraison et les consignes à son assistante Manon, mais quand il est parti comme une flèche me chercher un café, je suis restée en arrêt devant cette profusion de jolies choses présentées avec un goût exquis.
Son secret, c’est ce mélange inédit entre des objets ethniques et designs, précieux et bruts, fonctionnels ou purement décoratifs, anciens et modernes.
Entrer dans la galerie Ailleurs, c’est plonger dans un univers poétique absolument irrésistible, loin, très loin des concept-stores qui rassemblent des marques établies et pour la plupart, déjà trop vues.
Nous nous sommes installés au fond de la première pièce devant une verrière. La galerie se poursuit par une cour intérieure puis par une dernière pièce, donnant l’impression d’espace d’une maison de campagne.
Régis m’a raconté sa vie en accéléré, parce que la caractéristique des hommes, c’est qu’ils font moins de digressions que les femmes quand ils se racontent. Enfin moi je trouve, je sais que c’est encore un propos sexiste, mais je ne crois pas que les sentinelles furibardes d’Alice Coffin lisent mon blog, Dieu merci !
« Je suis né là-dedans, commence t-il, mes parents étaient antiquaires, ils avaient des boutiques à Paris et en Normandie, j’ai passé mon enfance à voyager avec eux pour chiner. »
Comme tous ceux qui ont repris le métier de leurs parents, Régis m’explique qu’il a eu envie de s’affranchir de ce monde un peu poussiéreux pour le réinventer. C’est grâce à sa rencontre avec Marie-France et Bernard Cohen, les fondateurs de Bonpoint puis de Merci qu’il a appris à mélanger les genres et s’est intéressé à l’art de la scénographie.
« La boutique Merci, au départ, c’était un lieu unique, un magasin-magazine, une maison qui reflétait l’univers de Marie-France et Bernard. Avec eux, j’ai beaucoup appris, c’est les contrastes qui font que c’est intéressant, trop de choses similaires, c’est insipide ! »
Régis utilise la métaphore de la gastronomie, son autre passion, pour décrire son métier. Une pincée de sel, un zeste de citron, une cuillère de miel, une pointe d’épice, sa sélection est un subtil équilibre de styles et d’objets singuliers qu’il choisit minutieusement comme les ingrédients d’une recette, en les associant avec l’intuition d’un grand chef.
De la même façon qu’il est prêt à traverser tout Paris pour trouver la meilleure baguette, il n’hésitera pas à parcourir le monde pour dénicher le plus grand maitre verrier tchèque (Omer Arbel), la plus créative brodeuse d’osier du Ghana (Golden Editions), la plus aérienne des designers de luminaires italienne (Paola Navone), la plus artiste des céramistes japonaise ( Ibaraki) et les plus parfumés fagots de sauge sacrée amérindiens.
Je suis impressionnée par l’éclectisme de Régis, qui m’explique que le sourcing a toujours été dans ses gênes. Il aime découvrir avant tout le monde, il a l’œil pour ça, un œil infaillible. Quand il a ouvert la galerie en 2016, il a beaucoup cherché, mais ce temps investi a payé, car il s’est façonné une image unique qui l’a fait connaitre et il a maintenant cette chance de faire venir à lui les artisans.
« Le salon Maison & Objet, c’est à peine 30% de mon sourcing. Le reste, ce sont mes découvertes. Un nouvel artisan, ça prend du temps à lancer, mais ça finit toujours par marcher, d’abord parce que les gens trouvent ici ce qu’ils ne trouveraient pas ailleurs, et puis que quand ça prend, ça profite à tout le monde !»
Il ajoute qu’il a lancé plus d’un artisan, qui sont maintenant référencés au Bon Marché ou dans des concepts de décoration prestigieux, mais ça ne le gêne pas, chacun son rôle et sa cible de clientèle, ajoute t-il.
Mon truc à moi c’est de découvrir, pas de dupliquer, c’est ce que j’aime, et il se trouve que c’est un business modèle qui fonctionne, alors pourquoi changer ?
Non, Régis n’ouvrira pas d’autres galeries Ailleurs, il a vu ses parents s’épuiser à multiplier leurs boutiques, il sait que plus on grandit, plus on a de charges, et plus on est obligé de trouver des produits duplicables à forte marge. Perdre son âme ? Surtout pas… Il préfère investir sur des projets de décoration avec des professionnels, il travaille avec sa femme sur un chantier pour un restaurant, c’est là où il exprime le mieux sa créativité et son art de la scénographie.
Je regarde autour de moi et je propose à Régis de faire le tour de la galerie. Pas de packaging, pas d’étiquette moche, tout ce qui est là semble faire partie de la pièce depuis toujours, mais en réalité tout est à vendre, des tables aux étagères en passant par les écharpes en Baby lama.
Tout sauf le chien que Régis déloge vertement d’un plaid en cashmere à 300 € sur lequel l’animal se prélasse langoureusement. Présenter côte à côte un verre de Murano, une thermos Sowden en acier inox et une carafe de lait à l’ancienne, c’est tout le talent de Régis, parce c’est ce qui fait qu’on a envie de tout rapporter chez soi, pour reconstituer le décor, à l’identique !
Je sens que ma frénésie d’achat revient au grand galop, frétillement devant les verres aux couleurs bleues lagon, le service de table irrésistible, l’infinie variété des céramiques venues des quatre coins du monde, la légèreté féérique des luminaires… je veux tout.
Et puis je m’arrête devant le miroir rond qui me fait de l’œil au milieu du mur central. De loin c’est un tableau qui renvoie les reflets liquides d’une rivière, de près, son teint piqué d’oxydes adoucit la texture de la peau plus finement qu’une retouche photoshop, un véritable piège à Narcisse !
Je me trouve vraiment pas mal dans ce miroir, façon marâtre de Blanche Neige qui interroge son miroir, et je demande le prix à Régis.
« 590 € » me répond-il aussi sec .
Je m’exclame « C’est cher ! »
Il répond : « Pas tant que ça pour se trouver mieux qu’en réalité, ahahah ! »
Bingo Régis, le prix est une notion tellement arbitraire, ce miroir magique n’a pas de prix, parce qu’il est magique ! Et puis ce foutu confinement a changé pas mal de chose dans notre tête, pourquoi mettrait-on des fortunes dans des talons aiguilles inutilisables, et pas dans un ravissant objet qu’on vivra au quotidien dans sa maison ?
Une de ses copines est arrivée pour lui prêter main forte pendant la période de Noël, il la prévient qu’il y a du rangement et l’expédie gentiment au fond du magasin pour une formation accélérée avec Manon.
Nous continuons notre discussion sur les prix, parce que l’autre obsession de Régis, c’est de ne pas faire une galerie trop clivante, avec que des choses chères. Et c’est vrai qu’il y a plein de trucs à moins de 40 € chez Ailleurs, de quoi faire des tonnes de cadeaux de noëls ravissants sans se ruiner.
J’ai déjà mis dans ma besace mentale les batons d’encens, la sauge sacrée, les verres à eau céladon, l’écharpe ivoire de baby lama, des vases, les photophores en verre, la liste s’allonge de minute en minute.
Régis m’explique que c’est dans l’air du temps ce retour à l’artisanat, aux circuits courts, aux petites séries qui viennent directement du producteur, comme pour la bouffe ajoute t-il, parce que sa référence reste décidément la gastronomie !
Delphine, ma photographe qui vient de shooter la galerie dans ses moindres recoins nous avertit qu’il est temps de faire le portrait de Régis. Panique à bord, il déteste les photos, il n’est pas allé chez le coiffeur, il n’a pas mis de chemise, il appelle Delphine Nathalie, c’est la confusion totale. Qui ont le plus peur de leur image, les hommes ou les femmes ? Essentialisme (dans les gênes) ou constructivisme (construit pas la société) va savoir, je dois me rendre à l’évidence, sur ce point-là, c’est kif-kif !
Delphine prend les choses en main, elle pose Régis au milieu de sa galerie sur un tabouret, nouvel objet vivant de sa scénographie. La scène est comique :
Delphine : vous auriez pu mettre une chemise quand même..
Régis : oui mais non
Delphine : mais vous avez des yeux magnifiques !
Régis : …
Delphine : allez un sourire, c’est presque fini !
Régis : une bonne tête de nœud…
Delphine : vous voulez une photo avec votre chien pour vous détendre ?
Régis : ça va pas la tête ? Déjà que je travaille dans la déco…
Moi : et moi qui pensais que les hommes étaient différents…
Delphine : Arrêtez de parler ! con-cen-trez vous !
Régis : vous êtes dure Nathalie
Delphine : je m’appelle Delphine
Régis : désolée, j’ai un pb avec les prénoms Ma Belle !
Delphine : ça y est, magnifique ! maintenant il me faut une photo de vous deux !
Régis : noooooon ! vous faites ça tout le temps Sylvie ?
Moi : oui mais moi c’est pire, elle m’engueule.
On a fait la dernière photo en rigolant franchement, Régis m’a mis autour du cou la sublime écharpe blanche en poil de baby lama que je n’ai plus quittée.
« Commerçant un jour, commerçant toujours » plaisante Régis.
Parce que être un antiquaire chevronné, un pro du design, un scénographe de talent, un entrepreneur enthousiaste, un passionné de gastronomie, ça ne suffit pas pour expliquer la magie de la galerie Ailleurs.
Le vrai secret de Régis, c’est qu’il aime les gens, en vrac ses anciens mentors, ses voisins, ses artisans, ses designers, ses clientes, son chien, ses concurrents, son assistante, sa femme, ses copines qui viennent l’aider, et j’en passe.
Un homme dans un monde de femmes, ça vaut de l’or !
Texte Sylvie Arkoun
J adore 🙂 En période de confinement on a besoin de s évader . A défaut de voyage , je vais rêvé d’un Ailleurs
Biz
Mxxx Marielle
Merci Mère Marielle