J’ai rencontré Charlotte pour la première fois dans le show room de Rabih Kayrouz, un sublime atelier d’artiste caché dans un fond de cours du boulevard Raspail, c’était en novembre dernier.
Elle travaillait sur sa nouvelle ligne de bijoux, cherchait des conseils, et elle a écouté avec l’attention concentrée d’une bonne élève ce qu’on pouvait lui dire en terme de fabrication, nouveau domaine pour elle.
Ce qui m’a frappé chez cette jeune fille diaphane, c’est l’intensité de son regard noisette, et son charme juvénile. J’ai tout de suite senti que derrière son apparente fragilité, se cachait une détermination sans faille, et un pouvoir de séduction quasi instantané. Il lui a suffi de sourire pour mettre son interlocuteur dans sa poche. Moi je l’ai trouvée singulière, son image m’est restée dans un coin de la tête, ça m’avait donné envie d’en savoir plus sur sa collection.
Elle m’a rappelé deux mois plus tard et on s’est retrouvées en décembre au salon de thé Rose Bakery du Bon Marché, à papoter sur les affres de la création d’une marque de bijoux, et sur la solitude du coureur de fond qu’on éprouve dans la période turbulente du lancement. Elle m’a montré les photos de ses bijoux, et j’ai tout de suite trouvé qu’il y avait un vent nouveau, un style très personnel, un zeste un tantinet subversif mais totalement élégant et hyper trendy dans ses créations.
Je l’ai vivement encouragée, à ce stade, j’étais sûre qu’elle allait prendre sa place dans ce marché déjà très encombré, elle apporte quelque chose.
Pendant la fashion week, elle a élu domicile au show room de son ami Rabih Kayrouz pour présenter sa ligne à la presse et au gratin des acheteurs, je n’ai pas eu le temps de passer, complètement prise par un autre projet. Mal m’en a pris, c’était the Place to Be, et Charlotte a fait beaucoup mieux que ce que j’avais imaginé.
La presse a adoré, et elle a déjà décroché un portrait dans le Grazia, le Elle, Stilleto, style.com, vogue.com (hier !!) et le très sélectif site Moda Operandi a sélectionné des références de sa collection pour une vente trunkshow en avant première. C’est dire si les radars de la mode se sont affolés devant sa nouvelle collection.
Quant à la distribution, elle a séduit les plus exigeants, sa ligne sort en juin -juillet chez Colette et au Bon Marché.
Le succès de Charlotte n’est pas usurpé, et pour reprendre un des grands lieux communs chers à mon cœur, la réussite ne se trouve pas dans une pochette surprise.
A l’époque où ses consoeurs, les jolies blondes de 20 ans, passaient leurs journées à choisir leur tenue du soir pour briller au Baron, Charlotte bossait. Quand elle m’a dit qu’elle gagnait sa vie depuis 10 ans, et qu’elle en avait 30, je suis tombé à la renverse. J’ai vu qu’elle s’amusait de ma surprise, elle a l’habitude, et je crois que son coté baby girl joue beaucoup dans son aura, on a envie de la protéger.
Elle me raconte qu’elle est partie de chez elle très tôt, qu’elle a fait le studio Berçot vite fait bien fait, puis qu’elle a eu la chance d’être embauchée illico chez Ungaro par son premier mentor, Vincent Darré, alors directeur artistique de la marque. Je dis premier mentor, car le parcours de Charlotte est émaillé de rencontres professionnelles essentielles, qu’elle investit comme une relation affective, et qui vont lui permettre d’avancer vite, très vite. Avec Vincent Darré, elle découvre le monde très fermé de la mode, celui qui permet d’ouvrir plus vite les bonnes portes quand on a du talent.
Après cette première expérience, elle rentre chez Balenciaga, où elle va être le bras droit de Nicolas Ghesquière pour la mode et les bijoux. Quand elle m’a parlé de toutes ces années passées au côté du jeune et génial créateur, j’ai senti l’exaltation derrière sa retenue naturelle.
Et j’ai compris la force de l’admiration, sentiment irrationnel presque aussi intense que la relation amoureuse, générateur d’une avidité d’apprentissage infinie, dans l’espoir faire aussi bien que son maître, et peut être un jour, de le dépasser.
J’ai étudié ce phénomène dans d’autres domaines, et j’ai remarqué que la carrière des grands intellectuels, écrivains ou artistes, a presque toujours commencé par l’admiration sans bornes qu’ils vouaient à un de leurs pairs, devenu un modèle et parfois un maître. La transmission est un chemin fragile et incertain qui passe par une relation forte. C’est ce qu’a éprouvé Charlotte pour Nicolas Gesquière pendant ces années. Elle m’a lâché cette petite phrase toute simple qui me semble résumer magistralement ce mécanisme : « Je me serais tranchée les veines pour un sourire de lui ». Elle me parlait juste des heures de travail qu’elle enquillait pour satisfaire son exigence, c’est dire la puissance de sa métaphore !
Depuis que Nicolas Ghesquière a quitté Balenciaga pour Louis Vuitton, la carrière de Charlotte a continué sa pente doucement ascendante, elle créé en free lance pour Paco Rabanne et Maiyet, mais la baby girl a eu envie de prendre son essor, et de concourir avec les grands dans son domaine de prédilection, le bijou.
Ce que j’aime dans ses créations, c’est la pureté organique du mouvement, le bijou s’enroule sur une partie du corps, comme le lierre envahit naturellement un arbre, en épousant ses formes.
Cette collection me rappelle une phrase du livre « Les bijoux indiscrets » de Richard Klein :
Tous les bijoux sont une forme de bracelet d’esclave, une chaîne ou un lien qui t’attache à quelqu’un d’autre ou à un autre toi-même – ton seigneur, c’est-à-dire quelqu’un de meilleur, de plus parfait, de plus libre et de plus beau que toi-même. Le but est toujours d’enchaîner l’autre, de faire qu’il (ou elle) se soumette à la beauté que les bijoux mettent en valeur.
Il y a une once punkitude dans ses boucles d’oreilles Swing Hook et Punk (la rebelle ?), une touche de poésie dans ses boucles d’oreilles Saturne (la tête dans les étoiles ?), un twist d’érotisme dans son bracelet Bond-Initial (l’esclave enchaînée ?), un milligramme d’obsession anatomique dans son bracelet Spinal (la fascination du corps ?), un clin d’oeil aux couples façon Jules et Jim avec sa bague Three Lovers (grande amoureuse ?), et un exercice de chic absolu avec sa bague Hurly Burly (son coté sage ?).
Moi je vote pour la sagesse de Hurly Burly et la poésie de Saturne et Jupiter, c’est mon coté zéro prise de risque.
Et si je me risque à porter la boucle Punk, ce n’est pas parce que j’aurai perdu la tête, mais qu’un grand tournant sera arrivé dans ma vie. Why not ? Ne vient-on pas de dire que porter un bijou c’est devenir un autre soi même ?
Bravo Charlotte, tes illustres parrains peuvent être fiers, la baby girl a maintenant tout d’une grande !
Bonjour,
Félicitations pour ce portrait sensible d’une créatrice hors pair!
Ses inspirations mêlent des réminiscences culturelles variées dans l’épure et le défi de formes nouvelles!
Je suis très intéressée à suivre son travail…et le découvrir à la faveur d’expositions.
Geneviève
Merci Geneviève ! Je vous tiendrai au courant dès que ses produits sont visibles en point de vente.
bonjour Sylvie, bravo pour ce beau portrait très bien écrit , moi aussi intéressée de connaitre le point de vente ou ses bijoux seront vendus , sylvaine
Merci Sylvaine ! ça doit sortir en juin -juillet chez Colette et au Bon Marché, je te tiens au courant !