Écrire requiert du calme, du silence, du repli sur soi. Les écrivains sont des ermites, c’est bien connu.
Or depuis presque un mois, je vis dans le chantier de ma maison de Saint-Jean-de-Luz. C’est une expérience inédite qui perturbe ma concentration. Mon œuvre littéraire Les Précieuses s’en ressent, je peine à rédiger ce portrait de la jeune créatrice de joaillerie MARIE MAS que j’ai revue début Mars à Paris.
J’étais partie avec cette première phrase prometteuse :
Si Marie Mas est une de mes marques favorites, c’est parce que ses bijoux sont merveilleux, mais aussi parce que je l’ai vu naitre.
Là-dessus, un vrombissement effrayant m’a interrompue en plein élan, Benjamin, le plombier, a passé la tête et m’a demandé si je pouvais venir voir si la douche était bien installée.
J’ai à peine pris mon café que la pelleteuse de Ramuntxo, le VRD (Voirie et Réseaux Divers) s’est mise en marche, le jouet orange géant ramasse la terre par quintal pour boucher les trous de canalisation de la cour d’entrée. Benjamin m’annonce avec un sourire désolé que l’eau est coupée, je vais donc rester toute la matinée en pyj informe, dégueu, non-douchée… tant pis.
Philippe, le charpentier m’appelle de l’autre coté pour me demander de valider les côtes de la pergola, selon lui, mon archi ne sait pas faire des plans, c’est bien connu.
A ce moment Pascal, le pisciniste arrive pour m’expliquer comment surveiller le remplissage de la piscine et prévenir Philippe que pas un clou ne doit tomber sur le liner flambant neuf. C’est pas comme ça que je vais finir d’écrire mon post.
Au milieu de tout ça, Cécilio, le maçon, n’est pas venu débarrasser les WC en plastique et les détritus qui jonchent le terrain vague qui constitue mon jardin.
Du coup, Jérôme, le jardinier, râle parce qu’il ne peut pas avancer, c’est toujours la même galère en fin de chantier, merde quand même, je suis pas éboueur, se plaint-il. Madame vous pouvez rappeler le maçon ?
J’ai mal à la tête, j’ai le sens pratique d’une huitre et l’œil d’un lémurien. Mon post a pris une semaine dans la vue, parce que suivre des travaux, en réalité, c’est vivre en kibboutz avec une équipe de mâles alpha pour lesquels ma maison est le terrain de jeux de guéguerres séculières.
Mais qui va me plaindre ? Personne, un chantier c’est un chantier, je réalise enfin le projet de toute une vie, construire mon petit paradis, c’est génial. Mais surtout, c’est sans compter mes copines qui me demandent en boucle : ils sont comment tes artisans ?
Alors à vous je le dis : j’ai un crush total pour les yeux verts de Benjamin, pour la force basque de Ramuntxo, pour le sourire ravageur de Philippe, pour le corps de rêve de Pascal, pour les biscotos héroïques de Cécilio et pour la voix de basse de Jérôme. Du matin jusqu’au soir, défile sous mon nez le catalogue de la virilité triomphante. Je ne suis pas à plaindre.
Voilà les filles pourquoi je reste sur mon chantier. Ici, c’est pas l’enfer, c’est déjà le paradis !!!
Allez, un peu de sérieux, retour sur MARIE MAS que j’aime d’amour, et que je veux vous faire découvrir.
Comme pour toutes les marques prometteuses que j’ai connues bébé, de Charlotte Chesnais à Marie Lichtenberg ou 5 Octobre à Vanrycke pour les anciennes, je pose sur elles l’œil attentif de la marraine qui leur a prédit chance et merveilles au berceau. Pour peu, je me prendrais presque pour la bonne fée, leur réussite retombe sur mon égo comme une pluie bienfaisante, j’ai la vista.
Je le dis sans aucune fausse modestie, je sais reconnaitre une marque de bijoux au juste potentiel créatif. J’aurais pu en faire mon métier, mais je préfère écrire leur histoire que de les vendre. En même temps, raconter une histoire, je crois que c’est justement ça qui fait rêver.
Quand j’ai rencontré Marie il y a 4 ans, elle m’avait montré sa première pièce, son collier Swinging Stones, un ruissellement de pierres mobiles jouant sur la transformation de la couleur, du violet profond de l’améthyste au rose pastel du quartz pour tendre vers le bleu intense de la topaze. J’avais été bluffée, tant par la prouesse technique que par la sensation qu’elle suscite. Le mouvement ininterrompu orchestrée aussi surement qu’une cascade de dominos mime à la perfection l’énergie primordiale du vent ou des vagues. Ca vous donne un frisson, aussi sûrement que devant le spectacle magique d’une métamorphose.
Je l’ai retrouvée début mars dans son showroom du boulevard Saint Antoine, dans une résidence des Ateliers de Paris qui accueille de jeunes artistes. Après 10 jours passés sur le chantier de ma maison à Saint-Jean-de-Luz en pyjama, j’étais passée par la case coiffure-manucure pour retrouver une apparence acceptable. Marie était naturellement parfaite, la fraîcheur se passe d’artifices.
A 30 ans et des poussières, elle a gardé l’ingénuité de la prime jeunesse et l’accent chantant de son Aveyron natal qui ne l’a jamais quittée malgré ses années parisiennes d’apprentissage. Elle a étudié à Duperré et l’IFM, puis a passé ses 3 premières années professionnelles au studio de création des bijoux fantaisie de la grande marque de mode. Dès qu’elle se raconte, sa détermination prend le dessus sur sa jeunesse. Marie est une bosseuse et une toquée de perfection, une combattante qui trace son chemin. Elle est partie de rien, très jeune, à peine sortie de son premier job avec la ferme intention de monter sa marque, consciente des enjeux, mais sans l’ombre d’un doute :
« Je me suis lancée dans le vide en me disant que je ne le ferais pas plus tard, quand j’aurai une vie de famille.».
Marie s’est fait un lieu à son image, un cocon rose poudré qui me fait penser à l’univers anachronique de la Marie-Antoinette de Sofia Coppola, entre le charme exquis d’un boudoir XVIIIème et ce twist de technicité qu’elle intègre dans toutes ses créations. Ses bijoux sont élégamment disposés sur des présentoirs mobiles qui permettent de découvrir la versatilité des pierres, tout est apparemment simple, mais chaque objet recèle cette mécanique incroyablement sophistiquée qui est la signature de Marie.
Elle m’explique que son ambition, dès le départ, c’était de faire des produit exceptionnels qui émerveillent et qui durent, pour toujours. Je sens que cette double notion de perfection et d’éternité sont les moteurs créatifs de Marie. Elle confirme :
« La joaillerie s’est tout de suite imposée à moi, j’avais besoin d’assouvir mon envie de réaliser des bijoux compliqués, incroyables, durables, des bijoux qu’on ne jette pas. Dans la Couture, on faisait 8 collections par an. A peine sorti, le bijou était déjà périmé. L’inverse de ce que j’aime ! »
Comme souvent en ce moment, nous commençons notre discussion en parlant du chaos engendré par la crise sanitaire.
Les voyages et les salons annulés, les boutiques fermées, les présentations de collections devenues virtuelles, la production ralentie, l’imprévisibilité qui est devenue la règle en toutes choses. Mais Marie a l’agilité des petites structures, elle m’explique qu’elle a entièrement adapté son business à la nouvelle donne, elle se consacre à la relation directe avec ses clients et à son image de marque sur son site et sur les réseaux sociaux.
En l’écoutant, je réalise à quel point le marché a changé. Nous sommes revenus à un modèle sans intermédiaire où chaque marque est maitre de sa propre histoire et de la commercialisation de ses produits de A à Z.
Nous évoquons la fin du pouvoir immense des grands salons tant convoités, des agents « gourous du style » ou des prestigieux concept-stores, parce qu’aujourd’hui, ce sont les algorithmes d’Instagram qui font le succès des marques avec leur clientèle finale.
Un bien ou un mal ? Nobody knows…
Personnellement, je ne suis pas mécontente de voir disparaitre certains intermédiaires qui se sucraient sans vergogne sur le dos des créateurs en prétendant leur être indispensables sur la route du succès. Le talent trouve toujours son chemin, j’en veux pour preuve mes marques préférées qui ont suivi leur instinct sans vider leurs poches au profit d’un parasite nocif. C’est dit, et c’est du vécu, croyez-moi, on en a beaucoup rit avec Marie qui a échappé à la bête !
Tous les métiers sont en mutation depuis le début de la crise. Marie m’explique qu’elle n’a pas voyagé en Inde où est basé son atelier depuis plus d’un an. Je m’étonne qu’elle travaille avec l’Inde, parce que les artisans là bas sont réputés pour leur imprévisibilité créative, alors qu’elle travaille avec une précision millimétrée. Elle rigole :
« En Inde, ils ont cru en moi quand je n’étais personne, à Paris, personne ne croit en toi quand tu es personne. Alors oui, je leur suis fidèle. »
Un péché français l’arrogance ? Ou plutôt le manque de confiance vis-à-vis des jeunes qui entreprennent ? Ca me touche parce que c’est tellement vrai, particulièrement dans le monde très fermé de la joaillerie.
Elle ajoute qu’elle a formé son fournisseur indien à son œil et qu’aujourd’hui, il voit comme elle. Il s’est adapté à son niveau d’exigence, elle sait qu’il saura sélectionner les pierres à son standard de qualité, ce qui est un challenge quand on observe la complexité de ses modèles.
Je saisis son fameux collier Swinging Stones pour l’observer de près.
Marie le prend dans ses mains et le fait basculer pour inverser le dégradé violet-rose vers le blanc bleuté-bleu intense.
Chaque pierre taillée en forme navette multifacettes sur fond plat est montée au verso de sa couleur inversée et Marie m’explique qu’elle utilise 8 variété de pierres différentes pour ce collier : l’améthyste d’Afrique, l’améthyste du Brésil, l’améthyste rose, le quartz rose, le blue-moon quartz, la topaze bleue de Londres, la topaze bleu ciel et la topaze bleu suisse.
Mon cerveau bugue sur la complexité de son système, une prise de tête totale, ou autrement dit, la virtuosité de la haute joaillerie. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à une certaine clientèle hyper exigeante, Marie a vendu sa première pièce à une cliente du Moyen-Orient, le genre de client rare qui ne craque… que sur des pièces uniques.
Marie poursuit :
« Il n’y a qu’avec l’Inde que je peux faire des pièces aussi sophistiquées en si peu de temps. Mais je travaille aussi avec un atelier parisien parce que je fais maintenant beaucoup de commandes sur_mesure ; Si la cliente a ses pierres, c’est plus simple pour répondre à sa demande.»
Comme tous les jeunes créateurs, Marie travaille beaucoup sur-mesure, commande d’une bague de fiançailles ou d’un bijou d’exception, et ça bien sûr, elle adore. Elle a l’avantage d’avoir déjà imposé son style, on vient la voir pour ce qu’elle sait faire, ce qui garantit aussi la consistance de son image qu’elle préserve rigoureusement.
Elle a sorti récemment une nouvelle ligne appelée Wave, sur-laquelle elle a mis au point un ingénieux mécanisme de picots qui poussent les diamants hors de leur socle, ou des boucles d’oreilles qui changent de forme selon qu’on les porte d’un coté ou de l’autre.
Marie ne fait pas que des pièces exceptionnelles, elle a décliné son savoir-faire dans des modèles que j’adore pour leur simplicité, mais qu’elle est la seule à pouvoir réaliser avec une telle perfection.
Et comme pour le collier, c’est en portant ses bijoux que je m’émerveille devant leur mobilité. Je passe ses anneaux aux navettes mobiles bicolores, ses vagues en diamants qui soulignent élégamment les courbes de l’oreille, tous ses bijoux qui se transforment dans la magie du mouvement.
C’est gracieux, vivant, frissonnant, amusant, merveilleux, comme un jeu d’enfant.
J’ai quitté le cocon rose poudré de Marie avec une pointe de regret, on serait bien restées des heures à parler d’histoires de pierres précieuses fabuleuses, de mécanismes ingénieux ou d’agents véreux à la terrasse d’un café. Mais ça aussi, ça n’est plus possible, notre vie a changée.
Je suis rentrée chez moi, j’ai repris un billet de train pour Saint-Jean de Luz, mon wavy est parti et mon vernis s’est écaillé, et j’ai repris ma vie provisoirement occupée de suivi de chantier, au milieu de ma dream-team à fort potentiel de testostérone, le souvenir encore émerveillé par les métamorphoses précieuses de Marie.
Texte Sylvie Arkoun