Origine, Traitement, Taille, Offre & Demande, tours et détours de la valeur des gemmes.
Depuis aussi loin que je me souvienne, les pierres précieuses ont provoqué chez moi une fascination mystique.
Les contempler, c’est prendre le risque d’être emportée dans un voyage vertigineux à travers le temps, l’espace, la science et les croyances. Et je ne suis pas la seule.
De la légende des Mille et une Nuits, Ali Baba, à la Castafiore d’Hergé, de Cléopâtre à Elizabeth Taylor, des maharajas à Elizabeth II, de Walter Scott à Joseph Kessel, les pierres précieuses ont ensorcelé l’humanité depuis la nuit des temps.
Alors que la joaillerie moderne s’est convertie à l’impression 3D, les pierres précieuses perpétuent leur légende. Sourcées, extraites, taillées et polies par la main de l’homme, ce labeur ancestral a peu évolué, restant un tribut à la sueur et au sang.
Mais il existe une exception notable : le diamant.
Avec l’avènement des diamants de synthèse, chimiquement, optiquement et physiquement identiques aux naturels, l’industrie du diamant a dû s’adapter. Elle a mis en place des normes strictes pour l’extraction et la traçabilité des diamants de mine afin de répondre aux exigences croissantes d’éthique et d’écoresponsabilité.
Ces efforts, bien qu’essentiels, n’ont pas suffi à enrayer une chute marquée des prix sur le marché des diamants de qualité commerciale.
En revanche, le marché des pierres de couleur suit une trajectoire différente. Contrairement aux diamants, le mimétisme entre pierres naturelles et synthétiques reste imparfait. Les rubis, saphirs et émeraudes synthétiques sont encore facilement identifiables, et la pierre naturelle conserve sa suprématie sur le marché de la haute joaillerie.
Ce décalage a conduit à un nouveau paradigme : aujourd’hui, acheter un diamant de qualité commerciale ne garantit plus de retrouver sa valeur en cas de revente.
À l’inverse, investir dans des pierres rares – comme le rubis birman, le spinelle rouge de Mahenge, le saphir bleu de Ceylan, ou encore la tourmaline Paraíba et l’émeraude de Colombie – offre une perspective plus sûre de valorisation à long terme.
La valeur refuge a changé de camp.
Ce bouleversement redéfinit aujourd’hui la joaillerie, et pour mieux le comprendre, je me suis tournée vers les experts.
En janvier, une conférence de l’Association Française de Gemmologie sur le traitement des pierres de couleur présidée par Emmanuel Piat, ainsi que ma rencontre avec Fabiana Fernandes Ribeiro, acheteuse senior associée chez Paul Wild, l’un des négociants en pierres les plus réputés de la place Vendôme, m’ont aidée à percer les mystères de ce marché fascinant.
Ce qui fait la valeur des pierres précieuses
- L’origine
Contrairement au diamant, dont la valeur est standardisée par les 4C (carat, couleur, clarté, taille), la valeur d’une pierre de couleur repose sur un critère essentiel : son pays, voire sa mine d’origine, qui détermine son ADN esthétique :
- Mogok en Birmanie pour les rubis,
- Muzo en Colombie pour les émeraudes,
- Ceylan (Sri Lanka) pour les saphirs bleus.
Malgré les progrès technologiques des outils d’observation, les laboratoires ne peuvent garantir l’origine d’une pierre.
Leur avis reste une opinion éclairée, mais pas une preuve. Pour connaître la provenance d’une pierre, il faut remonter à la source.
2. Les traitements
La majorité des pierres de couleur subissent des traitements pour améliorer leur couleur et clareté :
- Les émeraudes sont souvent traitées à l’huile ou à la résine,
- De nombreuses pierres, comme les saphirs roses de Madagascar, sont chauffées à basse température pour sublimer leur couleur et leur clarté.
Ces pratiques, bien qu’anciennes, se sont sophistiquées. Aujourd’hui, les laboratoires peuvent identifier si une pierre est naturelle, traitée ou chauffée, mais toujours avec une marge d’erreur.
Or le traitement – ou son absence – influe fortement sur la valeur.
Une étude présentée par Paul Montfort de Jewels & Watches for Eternity lors de la dernière conférence de l’AFG a révélé qu’un saphir, rubis ou émeraude exceptionnel peut voir son prix multiplié par dix s’il est certifié naturel (non traité).
3. La taille
La taille influence la valeur d’une pierre, a telle point que Fabiana Fernandes Ribeiro m’a expliqué que toutes pierre achetée par le négociant Paul Wild passe dans les mains expertes de leurs propres lapidaires soit à Bangkok soit à Idar-Obertsein, avant d’être mise à la vente.
Dans la plupart des cas, la pierre est taillée à partir du brut, mais il peut arriver qu’une pierre déjà taillée soit reprise.
Une pierre de couleur retaillée peut gagner en intensité de couleur et en éclat, donc en valeur, même si cela implique une perte de poids.
Le record de vente du département joaillerie chez Artcurial en 2023 a été atteint par un rubis birman sang de pigeon de 7,10 carats, vendu pour 2,9 millions de dollars, soit environ 408 000 € par carat. L’acheteur avait déclaré son intention de le retailler afin d’en augmenter la valeur.
A ce prix, on mesure toute la portée de ce calcul bénéfice/risque !
3. L’offre et la demande
Certaines pierres montent en popularité par un mystérieux effet d’engouement.
Pour qu’une pierre précieuse gagne en notoriété sur le marché, plusieurs facteurs sont déterminants :
1. Découverte de spécimens exceptionnels : La mise au jour de pierres de qualité exceptionnelle, tant en termes de poids que de pureté, suscite souvent un vif intérêt. Par exemple, la découverte de la tourmaline Paraíba, une gemme rare au bleu turquoise vibrant, a attiré l’attention des maisons de haute joaillerie.
2. Disponibilité de tailles adaptées à la haute joaillerie : Pour répondre aux exigences des créations de haute joaillerie, il est essentiel de disposer de pierres de grande qualité, taillées avec précision et présentant des poids significatifs.
3. Offre de petites tailles pour le marché de l’accessoire : La présence de pierres de qualité standard, disponibles en petites tailles et en quantités suffisantes, permet de satisfaire le marché des accessoires et de la bijouterie plus accessible.
Ces éléments combinés contribuent à accroître la popularité d’une pierre précieuse, en répondant aux besoins variés des différents segments du marché.
Une grande maison s’en empare pour une collection de Haute Joaillerie avec une pierre jusque là oubliée, les créateurs lui emboitent le pas avec une taille plus commerciale, et la tendance est lancée !
C’est ce qui se passe depuis quelques années comme par exemple pour :
- Le spinelle rouge de Mahenge en Tanzanie
- La tourmaline Paraíba bleu lagon du Brésil ou du Mozambique
- Le grenat spessartite jaune solaire du Nigéria ou de Namibie.
Si leur mine vient à s’épuiser ce qui arrive pour les Paraibas du Brésil ou les Spessartites du Niger, ou que la géopolitique crée une situation d’embargo sur le pays, ce qui est le cas pour les spinelles de Birmanie, les prix flambent.
C’est aussi simple que ça.
Mes conseils pour acheter/ revendre des pierres précieuses
1. Privilégiez les maisons de joaillerie ou atelier reconnus pour leur expertise et leurs fournisseurs fiables.
2. Évitez les achats impulsifs dans des pays miniers sans connaissance préalable.
3. Formez-vous : assistez à des conférences (AFG, ING, École des Arts Joailliers Van Cleef & Arpeels, cours du Dr Laurent Massi)
4. Visitez des salons spécialisés (En France : Sainte-Marie-aux-Mines en juin, Krisalia en mars, ou le Mineral Expo Paris en décembre).
3. Partez dans une aventure encadrée par des gemmologues de terrain sur la trace de l’origine des pierres (Gem Odyssey, Patrick Voillot)
4. Faites appel à des experts des maisons de vente aux enchères (Artcurial, Aguttes) ou des laboratoires reconnus (Bellerophon, LFG) pour évaluer et certifier vos pierres.
Sachez que pour se faire un œil sur les pierres, il faut en voir des centaines voire des milliers !
Alors, prêt à plonger dans le monde des pierres ?
Si ce post vous a plus, racontez-moi, posez vos questions et partagez sans modération !
Texte Sylvie Arkoun
Photos de pierres précieuses de la collection Paul Wild