«De tous les leitmotivs stylistiques d’Yves Saint Laurent, celui de la transparence mis en lumière dans cette nouvelle exposition me semble être à la fois le plus permanent et le plus actuel.»
Être née dans les années 60, c’est avoir été jetée dans la grande roue du temps en même temps que la maison de Couture Yves Saint Laurent.
C’est un pedigree qui a son importance dans le grand arbre généalogique de la mode et du style qui a marqué ma génération.
J’ai idolâtré l’inaccessible féminité de Catherine Deneuve dans la Chamade et la Sirène du Mississippi, oxymore stylistique entre sagesse bourgeoise et sensualité sulfureuse.
J’ai adopté dès l’adolescence le caban comme pièce maitresse de ma garde-robe de garçon manqué.
Je me suis convertie à l’uniforme du tailleur pantalon pendant mes premières années de jeune cadre dynamique et ce parfait arbitrage entre chic et confort a toute ma vie guidé mes pas dans la jungle fashion.
Si Chanel a libéré le corps des femmes au début du XXe siècle, Yves Saint Laurent a libéré leurs mouvements pour cloturer ce même siècle. Une bénédiction pour celles qui comme moi ne tiennent pas en place, Alleluia !
Et pourtant, mon monde était aussi éloigné du sien que celui du ver de terre l’est d’une étoile.
Avant cette exposition Transparences, le pouvoir des matières au Musée Yves Saint Laurent, je n’avais jamais approché de près ou de loin une création Haute Couture de la grande maison française. Ces pièces uniques étaient réservées au happy fews du gotha mondain international ou aux muses, heureuses élues dont la longiligne androgynie exaltait le génie du maître.
Couleur ou noir et blanc, smokings ou dentelles, motifs floraux ou géométriques, plumes ou paillettes, fluide ou structural, voilé ou dévoilé, de tous les leitmotivs stylistiques d’Yves Saint Laurent, celui de la transparence qui fait l’actualité de cette exposition me semble être à la fois le plus permanent et le plus actuel.
Quand il crée en 1966 sa première blouse noire révélant un ventre nu et des seins libérés, il a deux ans d’avance sur la révolution sexuelle qui battra les pavés parisiens en mai 68.
Il ne cessera de revisiter cette idée tout au long de ses 40 ans de création, de la Nude Dress de la collection suivante aux subtiles découpes de dentelles noires qui émaillent ses robes de la décennie 90.
Si ces tenues merveilleuses me fascinent, c’est parce qu’elles me renvoient à l’obsession originelle des artistes de tout temps et de la joaillerie d’hier et de demain, celle de sculpter la lumière.
Les références artistiques de l’exposition choisies par la curatrice Anne Dressen (souvenez-vous de la fabuleuse exposition Medusa au Musée d’Art Moderne, c’était elle !) comme la scénographie aérienne conçue par l’architecte Pauline Marchetti sont autant d’hommages à la lumière, au mouvement et à la fulgurante vitalité qu’elles suggèrent.
De la dentelle du rayogramme de Man Ray au film de danse des frères Lumière en passant par le dessin Transparence aux cinq personnages de Francis Picabia, toutes les œuvres sur lesquelles j’ai posé mon regard font écho aux innombrables perspectives offertes par les effets de transparence des matières sur le corps féminin.
Une myriade de reflets qui n’est pas sans me rappeler la vivacité émise par la lumière dans des multiples facettes des pierres précieuses.
Apothéose de l’exposition, face à la robe de mariée en tulle blanc du défilé hiver 1983, il y a ce collier-broche en forme de cœur lourd de strass pleurant une larme de rubis rouge sang.
Créé dès 1962 puis réédité en 1979, ce bijou est devenu le gimmick tant attendu à chaque défilé pour révéler la tenue préférée du maître.
Ce cœur un peu fou en dit long sur l’intention de la transparence selon Yves Saint Laurent.
Si elle révèle la beauté du corps féminin, ce n’est que pour mieux en préserver son secret.
Celui du coeur évidemment.
Exposition Yves Saint Laurent Transparences au Musée Yves Saint Laurent – 5 avenue Marceau – du 9 février au 25 août 2024.
Texte Sylvie Arkoun
Photos Musée Yves Saint Laurent