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Category PORTRAIT
D’Alençon à Jaïpur, le voyage initiatique d’Anna Molinari

« En Inde, j’étais fascinée par les Moucharabiehs, j’adorais observer au travers de cette dentelle de pierre les reflets multicolores des femmes en sari passer dans la rue. »

Il y a des personnes sur lesquelles une bonne fée a jeté un charme, c’est le cas d’Anna Molinari.

Elle porte un nom qui évoque une héroïne romantique du cinéma italien, elle l’aurait inventé qu’on y croirait dur comme fer. C’est quand même pas comme de s’appeler Sylvie comme Vartan et de descendre d’un kabyle né dans un bled paumé du Djurdjura…  Mieux, elle est née à Alençon, ville reine de la reine des dentelles, ce qui fait d’elle le personnage central d’un conte moderne.

J’aime bien mon héroïne. Elle est jeune et jolie, elle a un talent validé par la plus prestigieuse école d’art anglaise, et le destin l’a mise sur le chemin de Munnu, dépositaire de la plus iconique maison de joaillerie des Maharadjahs, le Gem Palace.

Elle a su saisir sa chance, et d’Alençon à Londres en passant par Jaïpur, New York puis Paris, sa jeune marque, Atelier Molinari, va conquérir le monde de la joaillerie.

Pas mal le pitch, non ?

J’ai rencontré Anna il y a 3 ans lors du tout premier Pop-Up de sa marque au Bon Marché. Jeune fille sage, elle trônait fièrement derrière sa belle vitrine dans le Saint des Saint de la joaillerie parisienne. J’avais regardé avec curiosité sa première collection et plongé avec délice dans l’eau limpide de ses pierres aux couleurs éclatantes nichées dans une dentelle d’or. J’avais trouvé que cette jeune fille avait la fraicheur de Candide et l’assurance d’une grande.

Et puis cet hiver, je suis tombée en arrêt devant sa nouvelle collection Bridal qui mettait à l’honneur des diamants éthiques lab-grown à la qualité exceptionnelle.

Simples et raffinés, légers et enveloppants, ses bijoux ont l’évidence d’un coup de foudre et la douce ergonomie d’un talisman qu’on ne quitte plus jamais. Une simplicité virtuose comme je les aime, pas le genre de bijou qui vous fait le clin d’œil furtif de la mode, mais plutôt celui qui annonce une relation intense et durable.

Comme Candide, mademoiselle Molinari a beaucoup voyagé et la beauté de ses bijoux vient bien sûr de son talent mais aussi de ce voyage qui a chaque étape, lui a révélé un aspect essentiel de son métier de créatrice de joaillerie.

N’ayant pas de showroom à Paris, j’ai proposé à Anna de la rencontrer à l’Hôtel Saint-James, mon jardin d’Eden parisien.

Super chic, Anna est arrivée en pantalon blanc et chemiser rose brodé. Longs cheveux bruns gracieusement ondulés, visage de madone et sourire solaire, Anna est d’une élégance effortless, le genre qui énerve quand on reste quotidiennement sidérée devant un placard rempli de jeans.

Nous nous sommes installées sous la pergola vert céladon. Anna a sorti de son grand sac une multitude de ravissantes petites boites en cuir rose nude, ses sachets de pierres libres, ses carnets de dessin et elle a commencé à déballer méthodiquement ses bijoux en babillant.

Aigues marines bleu glacier, rubellites rouge groseille, tanzanites bleu outremer, tourmalines rose fushia, diamants pétillants et cette incroyable émeraude de Zambie à l’eau vert lagon qu’elle porte au doigt ont provoqué chez moi une salve d’onomatopées annonciatrices d’une crise d’hystérie joaillière. Elle s’est exclamé en riant :

« Moi c’est pareil, je ne peux pas résister au déballage des pierres précieuses quand je suis en Inde, c’est magique, ça me rend dingo ! ».

 

Anna Molinari

Tout commence donc à Londres où elle a grandi. Pendant toute son année de terminale, la seule chose qui compte est son cours d’art du vendredi où elle travaille frénétiquement sur son book pour la Saint Martins School.

Ses dessins parlent d’eux même, elle est prise dans cette école de l’élite artistique internationale sans même passer l’oral, c’est la révélation inaugurale :

« J’avais choisi le thème des représentations de la femme et pour la première fois, on me disait que c’était super ce que je faisais ! »

 

Le textile et le bijou s’imposent à elle dès son entrée dans l’école. Un premier stage chez un grand joaillier de la place Vendôme la propulse dans ce monde très fermé. Elle sait désormais que sa vocation est là, il lui faut trouver une expérience qui lui permette d’accéder au cœur du réacteur.

C’est à ce moment-là qu’une amie lui parle de Munnu, le charismatique dirigeant du Gem Palace.

On est en 2012, Anna a 19 ans, c’est la deuxième étape de son voyage initiatique, elle part en Inde pour un stage d’un an sans savoir qu’elle y restera en réalité 3, entrecoupées d’une année de césure à New York pour passer l’indispensable GIA (Gemmological Institute of America).

Elle me raconte ses voyages en Inde par 40 degrés, la fascination qu’elle a comme moi pour ce pays, ses artisans et cette culture ancestrale qui l’inspire. 

J’ouvre une parenthèse, je lui tire mon chapeau, parce même si Jaïpur est un lieu magique, le gap culturel, climatique et alimentaire font de ce lieu une sorte de crash test pour les petites natures, mais malgré son air de madone, je comprends qu’Anna est le contraire d’une petite nature !

La bas, elle découvre le protocole mystérieux de la vente des pierres assise sur des tapis à même le sol, les mains brunes qui font amoureusement ruisseler les gemmes dans de petits papiers pliés, le soleil intense qui fait éclater les couleurs, la beauté des palais des maharadjah, les jeux d’ombre et de lumière.

J’en sais quelque chose pour avoir fait ce voyage 3 ans avant Anna, ce lieu est un rêve mystique, un choc esthétique, une machine à vous mettre le cerveau à l’envers.

La chance d’Anna est d’avoir le privilège de travailler aux cotés de Munnu, le plus grand joaillier du Rajasthan :

« C’est lui qui m’a appris que le bijou est quelque chose qui doit être tenu, touché, apprécié, quelque chose qui doit vivre sur la peau. Et c’est lui qui m’a aussi appris qu’on peut tomber amoureux d’une pierre.»

Anna Molinari

Le rapport charnel des indiens avec les pierres précieuses est dangereusement fascinant, en faire l’expérience, c’est prendre le risque d’être contaminé par cette passion dévorante.

Anna n’a pas échappé au sortilège.

Quand elle tombe amoureuse de cette fabuleuse émeraude de Zambie qu’elle porte désormais au doigt, elle n’a pas un kopeck pour l’acheter.

Munnu fait de cette pierre son premier confié, il a tout simplement détecté le talent de la jeune fille en observant ses dessins de bijoux, il lui fait confiance.

La pierre va rester sur sa table de travail pendant des mois, la narguant de ses rayons verts qui lui lancent son premier défi créatif.

Il lui propose alors un marché gagnant-gagnant : si elle reste travailler avec lui, il réalisera ses premiers prototypes.

C’est à ce moment qu’Anna réalise qu’elle est entrée dans le monde très fermé de la joaillerie :

« Quand tu es dans la joaillerie et que tu as gagné la confiance de tes pairs, il y a beaucoup d’entraide, tu rentres dans une famille. »

C’est au cours de ces années qu’Anna réalise son premier modèle, parallèlement à son travail à l’atelier du Gem Palace. Elle ne cesse de contempler son émeraude, mais comment monter cette beauté de la nature pour la sublimer en toute légèreté ?

« En Inde, j’étais fascinée par les Moucharabiehs, j’adorais observer au travers de cette dentelle de pierre les reflets multicolores des femmes en sari passer dans la rue. »

Anna Molinari

Ces jeux d’ombre et de lumière lui rappellent la dentelle d’Alençon de son enfance, son idée créative est née.

Anna dessine, imagine, teste, expérimente. Dans l’atelier de Jaïpur, elle réalise qu’elle peut faire une dentelle solide, plusieurs prototypes sont nécessaires avant de réussir enfin la bague qui sera son modèle numéro 1, la merveilleuse émeraude de Zambie est montée sur une dentelle d’or entièrement ciselée à la main.

 

A ce moment, Anna me montre son cahier de dessins. Photos d’inspiration, découpes de ravissantes rosaces, motifs de moucharabiehs, nids d’abeilles et trèfles à quatre feuilles, l’univers d’Anna Molinari est tout entier dans ses dessins.

 

A ce stade, Anna sait tout des pierres précieuses et de la fabrication des bijoux, mais rien de la vente ni du marketing.

La suite de son voyage initiatique se déroulera entre New York et Londres où elle fera plusieurs missions pour 3 des plus grandes créatrices de joaillerie du moment. Merchandising, évènementiel, communication, vente en boutique   elle maitrise désormais toutes les facettes du métier et décide de lancer sa marque parallèlement à son job chez Delfina Delettrez à Londres.

Elle vend quelques pièces sur commande, ses modèles sont parfaitement au point, il ne lui reste plus qu’à trouver le point de vente qui sera sa première vitrine.

La dernière étape du parcours initiatique d’Anna Molinari sera Paris.

Seule personne de l’équipe de vente de Delfina Delettrez à parler français, on l’envoie pour 2 mois sur le Pop Up du Bon Marché. A ses heures perdues, elle dessine ses bijoux dont elle poste quelques photos sur son Instagram, le buzz  commence à circuler…

L’acheteuse du Bon Marché regarde l’Instagram d’Anna, flashe sur ses créations, et la convoque un jour dans son bureau à l’étage, là où le personnel de vente ne s’aventure jamais.

« J’avais les jambes qui tremblaient et les mains moites, j’avais peur d’avoir fait une faute grave ! Quand je suis arrivée dans le bureau de l’acheteuse, elle m’avait déjà préparé un contrat … »

Ses bijoux correspondent parfaitement à ce que recherchait le Bon Marché pour son prochain Pop Up…

Bingo ! Anna est passé miraculeusement de vendeuse joaillerie en CDD à créatrice adoubée par le plus prestigieux grand magasin parisien, temple des nouveaux créateurs de bijoux, la marque Atelier Molinari peut prendre son envol.

Et alors que je joue à tout essayer et qu’Anna pose gracieusement sous l’objectif de Delphine dans les jardins de l’hôtel Saint-James, je réalise que si le voyage initiatique de la jeune fille d’Alençon se termine dans son pays natal, ce n’est pas un hasard. La morale de l’histoire n’est-elle pas qu’après tant de péripéties de rencontres et d’aventures, il faut revenir chez soi pour cultiver son jardin ?

J’ai enlevé à regrets mes bijoux de dentelle d’or ornés de tanzanites, aigues-marines, diamants et tourmalines fabuleuses sous l’œil aiguisé d’Anna qui en vendeuse confirmée, ne perd jamais de vue un de ses bijoux.

Elle me raconte qu’après Le Bon Marché, la marque se développe chez Fortnum & Mason, Bija à Montmartre et bientôt Liberty à Londres. Quelle sera la prochaine étape du périple d’Anna ?

Un showroom parisien j’en suis sure, parce que Paris reste le plus  bel endroit pour conquérir le monde de la Joaillerie, évidemment !

Photos Delphine Jouandeau

Texte Sylvie Arkoun

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