Certaines rencontres sont à double détente.
C’est ce qui s’est passé avec Héloïse. On s’est vues une première fois en décembre, puis je n’avais plus de photographe, puis l’hiver a été poussif, puis le covid a tout bloqué… A peine sorties du confinement, on a repris notre discussion là où on l’avait laissée il y a 6 mois !
On s’était parlées pendant le lock-down, je voyais qu’elle continuait à poster ses jolies photos de bagues en diamant taille ancienne sur l’Instagram de sa marque Héloïse & Abélard Jewelry alors que je m’étais claquemurée dans le silence.
A peine le glas du dé-confinement avait-il sonné que j’ai appelé Héloïse illico, ce rendez vous en suspens depuis six mois était devenu une urgence pressante. J’avais besoin de revoir des bijoux, de les toucher, de les admirer, de les essayer, comme si ce rituel était la clé du retour à la vraie vie. Héloïse me promet d’apporter des diamants qu’elle vient de trouver, j’ai hâte !
Héloïse a deux enfants tout petits, qui ont mis à sac son appartement, on a donc convenu de se voir chez moi. Elle est arrivée avec son grand cabas rempli de ses jolies boites de velours multicolores, craquante dans sa robe en chambray bleu ciel, délicatement bronzée après deux mois d’un confinement normand ensoleillé.
Elle était visiblement euphorique de sortir enfin de chez elle, la clé de ce dé-confinement (mot atroce comme dirait Nicolas Bedos) c’est le changement d’air, le plus beau palais ressemble à une prison quand on y est enfermé…
Héloïse me fait penser aux héroïnes romantiques de Jane Austen, sa féminité aérienne et son exquise courtoisie révèlent son attachement aux valeurs d’autrefois. Ce n’est pas un hasard si elle a appelé sa jeune marque de joaillerie Héloïse et Abélard, en référence au célèbre conte romantique du 11ème siècle auquel elle doit son prénom.
Pourtant, son parcours révèle une jeune femme moderne et déterminée. A à peine 35 ans, après avoir fait la plus prestigieuse école de commerce française, elle a déjà derrière elle une belle carrière dans le domaine de la joaillerie. Elle a travaillé au marketing dans trois des plus grandes maisons de la place Vendôme, mais chut, elle ne veut pas que j’en parle… Héloïse est modeste, et sans renier cette expérience formidable qui lui a appris la rigueur du luxe et l’exigence de la joaillerie française, elle ne capitalise pas sur ce passé. Ce qu’elle ambitionne, c’est d’imprimer son propre chemin, qu’elle veut différent, inventif, résolument ancré dans l’éthique de la transmission, du recyclage et de la joaillerie durable.
Ma photographe Delphine a poussé les meubles et mis sa lumière pour les photos. On s’est installées sur le canapé safran qui donne bonne mine, et Héloïse a déballé ses trésors sur mes petits plateaux en bambou. Surexcitée, je me suis jetée sur la plus époustouflante bague posée sur le plateau, celle avec la perle.
Héloïse m’explique que les bijoux sont pour elle une tradition familiale. Sa grand-mère et sa mère étaient de grandes collectionneuses, elles avaient des pierres, plein de bijoux, elles passaient leur temps à les transformer, à les faire démonter- remonter pour les porter différemment.
Cette bague incroyable est la énième version d’un bijou ancien, elle date des années 90, c’est la première expérience de transformation d’un bijou pour Héloïse, un sublime diamant taille ancienne a été remonté avec une perle fine et une demi marguerite en diamants. C’est à la fois aérien, asymétrique et foisonnant. L’inspiration première d’Héloïse lui vient de cette passion héritée des femmes de sa famille, des femmes à la forte personnalité qui portaient des parures imposantes avec leurs manteaux de fourrure et leurs escarpins à talons. Cette image me renvoie à la Castafiore, la mythique cantatrice de Tintin qui ne pouvait pas vivre sans sa cassette précieuse ! Je ne dois pas être loin de ça, Héloïse raconte :
« Pour ma mère et ma grand-mère, les bijoux, c’était le symbole de leur réussite, de leur indépendance, de leur puissance. Ma mère était médecin, c’était une femme qui avait une forte personnalité, et ça se voyait. Elle portait de gros bijoux, à l’inverse de moi qui suis minuscule en comparaison ! D’ailleurs je n’aime que les bijoux fins et discrets, et on ne vient pas me voir pour monter des grosses pierres ! ».
Effectivement, la ligne de bijoux d’Héloïse est délicate, discrète, raffinée, elle est faite pour des filles d’aujourd’hui qui apprécient la belle joaillerie, mais sans ostentation. C’est ce que j’aime dans ses modèles de bagues, elles sont si charmantes qu’on a envie d’en porter une à chaque doigt, de s’amuser à les mélanger les unes avec les autres, elles créent de jolis bouquets, l’assemblage aléatoire des diamants semble n’obéir à aucune logique, chacun révèle un charmant bazar.
Le diamant taille ancienne de sa première bague est si beau que je file chercher ma loupe. Je ne suis pas une spécialiste et j’ai de si mauvais yeux que j’ai besoin de cet outil pour capter les détails de la pierre. Je demande à Héloïse la différence entre un » diamant taille ancienne « , ceux qu’elle utilise, et les » diamants taille » rose que j’ai l’habitude de voir sur les rosaces du joaillier libanais Selim Mouzannar.
Héloise m’explique que les tailles anciennes qu’elle utilise datent du 18ème et 19ème siècle, des taille appelées « vieille mine » ou » vieille europe » proches de la » taille moderne « . Ces tailles étaient réalisées à la mains, ce qui explique qu’elles respectent la forme brute de la pierre, et ne présentent quasiment jamais un rond parfait, mais plutôt un coussin. La table (surface supérieure du diamant) est plus petite que sur un diamant moderne, mais surtout, très souvent, la culasse (pointe du dessous de la pierre) est coupée, formant ainsi la 58ème facette de la pierre.
Les diamants taille rose sont une taille plus ancienne, plus rustique dans la mesure où il y a moins de facettes, et le dessus du diamant est un dôme qui ne présente pas de table, le diamant est plus irrégulier, moins brillant. C’est le diamant original de la joaillerie indienne et orientale, son charme et sa rareté sont redevenues au goût du jour, mais rares sont les joailliers, comme Selim, qui se risquent à l’utiliser.
Si Héloïse a choisi la taille ancienne, c’est sans doute que son œil s’est fait à sa singularité : il a une belle brillance mais il garde la charmante imperfection de la main de l’homme, il n’y en a pas deux pareils, il n’a pas le calibrage impeccable des diamants » taille moderne » industriels. Mais elle défend aussi l’idée qu’ils sont une ressource merveilleuse, il y a une quantité incroyable de diamants » taille ancienne » en circulations sur des bijoux d’autrefois, il suffit de les récupérer, de les trier, et de les remonter sur un design moderne, plus léger et moins chargé en métal que les bijoux anciens.
Par cette démarche, Héloïse m’explique qu’elle entre dans le cercle vertueux de la joaillerie éthique :
« Mon truc, c’est d’encourager les gens à sortir leurs vieux bijoux des coffres, pour les transformer, et les porter. Pourquoi racheter un nouveau diamant alors qu’on a plein de trésors à réutiliser ? Et puis ça marche ! J’ai plein de clients qui m’apportent leur vieux bijoux, je démonte, je chine d’autres pierres, et je leur propose quelque chose de neuf ! C’est formidable, rien ne se perd, les pierres revivent, elles sont portées, c’est exactement ce que j’aime ! »
Je comprends qu’il y a dans la démarche d’Héloïse quelque chose qui tient de la transmission. Ses clients viennent chercher chez elle à la fois son style, mais aussi l’idée de préserver ce lien avec l’histoire familiale. Les diamants d’une broche de l’aïeule vont faire plusieurs bagues de fiançailles pour ses petits enfants, l’histoire se poursuit, s’enrichit, se multiplie à l’infini, il y a dans cette chaîne toujours renouvelée la jubilation du renouveau et l’ancrage dans une longue histoire.
D’ailleurs, pendant le confinement, elle s’est trouvée malgré elle témoin de l’épopée de certains de ses clients… Les jeunes papas ont été particulièrement éprouvé par ce moment de l’accouchement obligatoirement solitaire dans ce moment périlleux. Tout acte héroïque correspond une récompense hors norme… Héloïse a été heureuse de faire partie de cette aventure !
Si elle me raconte cette anecdote, c’est aussi pour m’expliquer qu’elle aime le lien affectif qu’elle tisse avec ses clients, un lien aux antipodes de la relation protocolaire établie par les grands de la place Vendôme avec leur clientèle. Elle constate que la plupart des hommes apprécient sa simplicité et sa réactivité, loin de la lourdeur ampoulée des grandes boutiques de joaillerie traditionnelle.
« Je rêve d’aller plus loin dans ce domaine. Au delà des commandes spéciales de pièces uniques, j’ai envie de proposer des services de qualité pour que les gens ressortent leurs bijoux des boites et les portent : nettoyage, réparation, remise à taille, expertise. Il faut faire revivre les bijoux, c’est sain ! Ce service là manque ! »
Héloïse a raison, combien de fois m’a t-on demandé si je connaissais un artisan pour faire renaitre un vieux bijou oublié ? Ce sujet me paraît autant d’actualité que les questions du recyclage, du tri des emballages, des énergies renouvelable et de la préservation de notre éco-système sont au cœur des débats. N’est-t-on pas en pleine crise existentielle collective ?
Les diamants et les pierres précieuses sont la plus ancienne ressource de notre planète, ils ont mis des milliers d’années avant d’émerger des explosions originelles du centre de la terre. Ils sont le symbole absolu de la genèse de notre monde, de sa persistance et du cycle de la vie sans cesse renouvelé. Quoi de plus passionnant que de les faire renaitre au monde plutôt que d’en épuiser la source ?
Puis Héloïse m’a déballé des bijoux fantaisies de sa collection, des bagues géantes du créateur Philippe Ferrandis qu’affectionnaient sa maman. Rien à voir avec ses bijoux fins, si ce n’est cette réjouissante association baroques de pierres de toutes les formes et toutes les couleurs qui l’inspire. Héloïse a très envie de chiner des pierres de couleur anciennes, des saphirs, des rubis et des émeraudes, c’est la prochaine étape de son aventure, c’est certain !
Delphine a pris trois milliards de photos. Nous avons terminé par la photos foutraque que j’avais en tête depuis le départ : nos mains couvertes de ses jolies bagues, évidemment.
Héloïse a zappé la manucure, je suis donc sensée cacher ses ongles, on créé un mic-mac façon jeux-de-mains/jeux-de-vilains, Delphine nous dit que c’est un peu le bazar, on se réorganise, on fait des figures de style avec nos mains qui se touchent !
Et tout à coup, je réalise ! Depuis 5 minutes, on vient de faire exploser les fameux gestes barrières dont on nous bassine depuis trois mois. Plus de distance, plus de protection, plus de gant, plus de masque, on se tripote joyeusement les mains comme des enfants de 5 ans inconscientes !
On explose de rire en se badigeonnant de gel hydro-alcoolique, merci Héloïse, grâce à tes bijoux la vie a enfin repris ses droits !!!
Texte Sylvie Arkoun