« Quand les gens m’achètent un bijou, c’est une petite partie de moi et de mon histoire qu’ils achètent. »
Je suis tombée un jour en arrêt sur le compte Instagram de Leïla Buecher, l’œil hypnotisé par ses ravissants chaos de diamants taille marquise. Mais qui est donc Leïla Buecher ?
Je n’avais jamais entendu parler d’elle. Si son prénom m’évoquait la méditerranée, je ne détectais aucun indice oriental dans ses créations, de délicats bijoux évoquant plutôt le raffinement du siècle des lumières propulsé dans la féminité tout terrain d’aujourd’hui.
Quand je l’ai appelée, elle a répondu dans la seconde comme si elle attendait mon appel et elle m’a raconté sa life comme si elle me connaissait depuis toujours.
On a jacassé comme des pies, et j’ai compris d’où venait notre connivence immédiate. Comme moi, Leïla qui est née en France trimballe dans son ADN tout le système solaire de l’Algérie, y compris sa lune et ses étoiles.
En quelques minutes je savais tout d’elle, un peu dans le désordre parce que le propre de Leila, c’est de faire aussi ses confidences dans un chaos parfaitement maitrisé.
Mariée à un alsacien chef dans un restaurant étoilé, ancienne directrice de boutique du plus beau bijoutier de Strasbourg, jeune maman, autodidacte des pierres précieuses, notamment du diamant avec lequel elle entretient un rapport quasi mystique et vendeuse au talent prodigieux, Leïla est un OVNI dans le monde de la joaillerie.
Elle vit dans un village perdu de la campagne alsacienne, elle n’a pas d’agence de presse, pas de copines hit-girls, pas de réseau d’une grande école prestigieuse, pas de parents influents, pas de business plan, pas de levée de fond, pas de grand-mère collectionneuse de bijoux, pas d’ancêtre fondateur d’une marque iconique, pas de connexion dans le monde très fermé de la joaillerie. Leïla est une française descendante d’immigrants algériens qui vit à 500 km de Paris depuis toujours, et qui a réussi à fonder et développer une marque de joaillerie hautement désirable.
Les ricains appellent ça une succes story et en raffolent, moi j’appelle ça une épopée, et j’en raffole aussi
Non seulement ses bijoux sont beaux, mais se marque coche toutes les cases du moment, généreuse, sincère, audacieuse, engagée, inclusive, des mots « valises » qui me portent sur le système parce qu’il veulent dire tout et n’importe quoi. Mais chez Leïla Buecher, ces mots prennent tout leur sens, parce qu’ils sont incarnés. On a décidé de se rencontrer dans son tout nouveau showroom parisien de la rue Ramey.
Ce n’est sans doute pas un hasard si elle a choisi Montmartre pour ancrer sa marque, dans ce quartier populaire mythique qui fourmille d’adresses exotiques et de bistrots gourmands. Installée dans son showroom encore très zen, j’avais ouvert mon cahier et saisi mon crayon pendant que Leïla déballait ses trésors, j’allais poser mes questions, mais rien ne s’est passé comme je l’avais prévu.
Entre Cendrillon et Shéhérazade, la princesse Leïla m’a embarquée dans son histoire, à sa façon. Et sa façon, c’est de vous envelopper de son regard de velours, de vous faire essayer tous ses bijoux comme si vous étiez la reine de Saba, et de noyer vos questions sous une rivière de diamants. Mais si j’ai un peu perdu le nord pendant ce voyage stellaire avec Leïla Buecher, j’ai atterri depuis.
L’épopée de la princesse Leïla, c’est parti !
Elle me tend une bague, puis deux, puis trois, et me dit :
« Les bracelets semainiers de notre enfance tu te rappelles ? Et bien j’ai fait la même chose sur cette nouvelle collection en pensant à ma fille Hanna ! Je te les montre en avant-première, ce n’est pas encore sorti ! »
C’était il y a 10 jours, mais depuis, Leïla a lancé son nouveau site qui met à l’honneur cette collection d’une sublime simplicité, des anneaux fins en or rose ornés d’un diamant marquise qui se superposent et s’emboitent à l’envie pour élaborer un motif. C’est ludique et addictif, j’ai joué avec les anneaux comme avec un lego en testant toutes les combinaisons avant de choisir la mienne, au moins 6 anneaux évidemment.
Tout le talent de Leïla est dans ce moment fondateur de l’hospitalité orientale, une immense générosité combinée à une empathie instinctive. Je viens d’entrer de plain pied dans le monde de Leïla, un monde où son invité est un roi ou une reine. Les règles sont les siennes, et je me laisse guider comme candide au pays des merveilles, il ne manque plus que le thé à la menthe et les cornes de gazelle, mais les gestes, les mots et les attentions de Leïla me plongent dans un état proche de la transe extatique.
Elle voit bien que mes défenses ont fondu comme un loukoum au soleil du Sahara et enchaine :
« Est-ce que tu es raisonnable ? Moi je ne suis pas du tout raisonnable ahaha ! »
En même temps, comment être raisonnable quand on est entrée par effraction dans la caverne de Leïla ? Elle me demande d’enlever ma bague à l’annulaire, je fais mieux, j’enlève tous mes bijoux. Avec un empressement fébrile j’essaye toute sa collection Hanna. Tout est beau, impossible de choisir. Tout le talent de Leïla est là.
Elle me raconte que quand elle a fait ses premières armes dans la vente, elle n’y connaissait rien. C’est un peu par hasard qu’elle est entrée dans cette institution de la joaillerie strasbourgeoise. Elle a été très vite consciente de ses atouts et s’exclame avec une féroce lucidité:
« Soit t’es jolie et tu fais la cruche pour vendre, soit t’es jolie et t’es très forte dans ce que tu fais. C’est mieux parce que t’es pas jolie toute ta vie ! Moi j’ai choisi la deuxième option et j’ai tout appris toute seule. »
Leïla Buecher
La sincérité de Leïla est toute entière dans cet aveu bravache. Non elle n’a pas fait l’école de gemmologie ni aucune école de vente, mais elle s’est battue pour entrer dans ce monde qui n’était pas le sien, elle y a fait ses armes et ses preuves, pour la plus grande fortune de son premier employeur.
« Le premier mois de décembre de mon arrivée dans la boutique, j’ai vendu 10 pierres de plus de 1 carat, j’ai battu le record des ventes ! »
Pour moi qui suis la pire vendeuse de l’univers (l’argent c’est mal…), cette performance tient du prodige. Mais d’où lui vient donc ce don ? Une bonne fée lui a lui fait un vœux dans sa tendre enfance. Elle me raconte que sa mère adorait les belles choses et qu’elle faisait des heures supp pour s’offrir un bijou à la fin de l’année.
« Elle craquait sa tirelire de préférence après s’être engueulée avec mon père ! Ahaha ! Mais comme elle était d’origine modeste, elle n’avait pas les codes, alors dans les boutiques, on ne la prenait pas au sérieux… »
C’est dans ce souvenir astringent que le talent de vendeuse de Leïla prend racine. Elle, elle prendra toutes ses clientes au sérieux, elle les aimera, les bichonnera, surtout celles qu’on catalogue trop vite « petit prix » à peine passée la porte de la boutique. Ce manque de respect la révolte. Elle est bien placée pour savoir qu’une multitude de personnes au revenu modeste économisent toute une vie pour s’offrir le bijou de leur rêve. Elle se rappelle ce que sa mère lui répétait :
«Toutes les femmes ont le droit d’avoir l’allure d’une Reine !»
Leïla Buecher
Ce mantra restera gravé dans sa tête à jamais.
Après 7 ans, malgré ses performances dans la vente et son expertise reconnue des pierres précieuses, elle se heurte au plafond de verre. On ne cesse de lui faire comprendre qu’elle a déjà beaucoup de chance d’être là où elle est… Son orgueil se rebiffe, personne ne décide à la place de Leïla. Entre temps, elle s’est mariée et a eu ses deux enfants, mais après deux braquages profondément traumatisants, elle plaque tout. Bravache, elle déclare à son mari :
« Les gens font des kilomètres pour manger dans ton restaurant. Un jour, il feront des kilomètres pour venir acheter mes bijoux ! ».
C’est le début de l’épopée héroïque de Leïla Buecher.
Dès le départ, les obstacles s’accumulent. Elle repart de zéro, pas de clients, pas de fournisseur de pierres, pas d’atelier, pas d’argent. La banque ne la suit pas, elle revend tous les sacs de marque et les bijoux qu’elle s’est offert au cours de sa première vie et s’achète son premier lot de diamants.
Elle a toujours aimé la taille marquise pour son étincelante légèreté et sa légende, le roi Louis XV l’aurait fait tailler par son lapidaire en s’inspirant du sourire de sa maitresse adorée, la marquise de Pompadour. On essaye de la dissuader, cette taille est démodée, pas commerciale… Pas question de se laisser enfermer dans les codes établis, toute l’audace de Leïla est dans ce pas de côté, elle aime foncer sur les chemins de traverse, et si ils sont chaotiques ça n’est que plus excitant, ça veut dire qu’il mènent au firmament !
Dès le début Leïla se donne à corps perdu dans sa marque. Le hasard travaille pour elle, les rencontres avec des négociants de diamants à Anvers et des artisans joailliers lui permettent de créer ses premiers modèles. Elle se déplace incognito en basket avec son sac à dos et ses trésors dans sa poche, et elle débarque chez ses clients à toute heure de la semaine et du week-end.
L’engagement, c’est sans doute la valeur cardinale de Leïla. Elle ne ménage pas son temps, ni sa santé, et fini par craquer. Trop de boulot, trop de difficultés. Elle est au bord du précipice quand la bonne fée se réveille, une cliente parisienne la contacte. Armée de ses 5 bagues, de son bagou et de son sac à dos, elle prend le TGV et rencontre sa cliente dans un café parisien qui lui donne carte blanche.
Bingo ! La baraka est revenue dans la vie de Leïla. Pourtant, le chemin sera encore long avant de voir la lumière.
« En vrai, au début, ça ne marche pas ! Faut arrêter de mentir à ceux qui démarrent ! »
Encore cette sincérité mordante. Oui, créer from scratch une marque de joaillerie qui va éblouir et durer, c’est un exploit. Il faut surmonter beaucoup d’obstacles, survivre à pas mal de Pop-Up ratés, de premiers bureaux spartiates, de besoins en trésorerie stressants, de partenariats déséquilibrés, et de crise du covid fracassante. Quand celle-ci arrive en 2020, le frémissement du succès se fait sentir, deux commandes prestigieuses ont mis le feu aux poudres, le bouche à oreille est en marche. La crise sanitaire va créer pour Leïla l’accélérateur salutaire. Elle a réalisé un beau site marchand et ne lâche jamais son iPhone, sa fenêtre ouverte sur le monde, ce lien qu’elle cultive au quotidien avec ses clients.
«Je me suis toujours occupée de mes clients parce que j’adore ça ! Aujourd’hui, ma marque a des clients de toutes les classes sociales, de toutes les religions, de toutes les cultures !»
Leïla Buecher
Leïla Buecher est à elle toute seule l’image même de la marque inclusive dans la joaillerie. De ses modèles aux beautés diverses à sa clientèle multiculturelle, elle est en train de réussir ce pari impossible, s’exprimer dans le monde du luxe avec ses codes à elle, et proposer à toutes ses clientes d’en faire autant.
Et alors que je me couvre les mains, les poignets, le cou et les oreilles de tous ses bijoux merveilleux, elle me dit qu’elle vient de croiser une de ses fans qui s’est exclamée en la reconnaissant : «Vous êtes bien Leïla Buecher ??? ». Elle rigole et m’avoue mi-émue :
« Je me suis dit que j’étais en train de devenir une re-sta !!! Mais en réalité, quand les gens m’achètent un bijou, c’est une petite partie de moi et de mon histoire qu’ils achètent aussi… »
Midi est passé depuis longtemps, mon carrosse va se transformer en citrouille. J’enlève à regrets les bijoux de Leïla pour remettre les miens, j’ai l’impression d’enfiler des guenilles… (pardon à mes chers créateurs que j’adore, ce n’est qu’un effet de style !!!).
On reste encore longtemps à parler de l’avenir.
Je suis sous le charme de la princesse Leïla, une fille qui a tourné le dos à l’Art de perdre* pour cultiver l’Art de gagner. Une guerrière aux yeux rivés dans les étoiles, au firmament… de la joaillerie, évidemment !
Texte Sylvie Arkoun
* L’Art de perdre est un merveilleux roman d’Alice Zenitzer qui m’a passionné. Il raconte le destin, entre la France et l’Algérie, des générations successives d’une famille prisonnière d’un passé tenace au travers de Naïma, jeune femme de la dernière génération. Ce livre est aussi un grand roman sur la liberté d’être soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes ou sociales. La vie et les choix de Leïla Buecher m’ont paru être l’écho de cette magnifique fresque romanesque. Parce que la réalité dépasse bien souvent la fiction !
CARROUSSEL CREATEUR