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Category PORTRAIT
Sandrine Torredemer,
Fil de Vie

«Ado, j’étais un peu révoltée du Bounty et en même temps je brodais… Je me trimballais partout avec un ouvrage en cours, c’était ma singularité, je crois que j’étais fière de me distinguer de cette façon.»

Les stéréotypes ont la vie dure, la femme fait des enfants et brode, l’homme chasse, écrit, voyage… Quand Pénélope faisait sa tapisserie, Ulysse naviguait, ça a duré pendant des siècles et des siècles, jusqu’en 2022.

Dans ma tête, la broderie était le symbole d’une féminité passive voire soumise, d’une intériorité imposée par la vacuité intellectuelle, et d’une solitude poignante emprisonnée dans le cocon familial. Bref, l’antithèse de la féminité triomphante à laquelle ma chère mère m’a biberonnée depuis mon enfance. Tout ça entériné par ma maladresse légendaire, je n’ai jamais su faire un ourlet ni recoudre un bouton, hélas pour mon family-boys-band affligé de pantalons trop longs ou trop courts et de chemises en berne.

Mais quand j’ai vu les ravissants tableaux de tissus brodés de Sandrine Torredemer sous le nom de La Filature chez Amélie Maison d’Art, je suis tombée raide dingue. On pouvait donc créer des tableaux de paysages peuplés de petits personnages colorés avec des fils et des tissus ?

Tout était magique dans la composition. Les couleurs, les contrastes de matières qu’on a tout de suite envie de toucher pour mieux les ressentir, les superpositions qui font apparaitre un relief fascinant, et ces petits personnages en fils encore plus vivants que sur une photo. Et puis il y avait ses phrases brodées, de charmants mantras qu’on ne peut plus quitter des yeux.

La modernité de ses œuvres est aux antipodes de mon imaginaire de brodeuse languissante, je me suis dit que Sandrine Torredemer était un génie, et qu’il fallait absolument la rencontrer. Pas facile parce qu’elle se cache dans sa ville natale de Perpignan à l’autre bout de la France, il a fallu attendre début Avril l’occasion spéciale d’un portrait pour le Elle Déco pour qu’on se croise enfin.

Amélie nous a installées dans la dernière pièce tout au fond de la galerie, nous nous sommes assises au bord d’une immense table qui flotte comme un navire dans un océan blanc. Les seules touches de couleurs sont les œuvres accrochées au mur et ce vert végétal qui s’invite du jardin. Sandrine est en jean et pull noir, ses seules coquetteries sont ses bijoux, une chaine ou dansent des médailles miraculeuses et deux belles bagues ornées de pierres fines. Sandrine est nature, sans fard, cash, gouailleuse, libre et intense, et si elle partage quelque chose avec mon image suranée de brodeuse bovarienne, c’est sa douceur. Elle me raconte son histoire avec son accent chantant du sud qui ensoleille tout, même ce matin pluvieux d’Avril.

 

Depuis qu’elle est en âge de tenir une aiguille, Sandrine brode. A Vingrau, dans ce beau village des Corbières où elle passait ses vacances d’été, elle regardait fascinée les mains noueuses de son arrière-grand-mère saisir dans sa boite à ouvrage des bouts de toile de jute hétéroclites à broder pour en faire des trésors. Imiter et reproduire les gestes d’une déconcertante agilité de son aïeule ont été pour elle le sésame du monde des adultes, un moment méditatif réconfortant et l’héritage d’un savoir-faire familial d’une valeur inestimable. Les moments magiques de son enfance ont ancré dans son ADN le geste de la brodeuse et ce plaisir extraordinaire de laisser ses mains décider de son inspiration, mais aussi de son mood. Parce que pour Sandrine Torredemer, la broderie est plus qu’un art de vivre, c’est le fil de sa vie.

Quand ado je courais le 400m haies et faisais tapisserie dans les boums, Sandrine, elle, brodait de vraies tapisseries sans relâche, faisant d’elle la mascotte de sa bande de copains rocks et rebelles.

Quand on vit en camarguaises et en jean 501 élimé, broder comme la reine Mathilde, au-delà de l’anachronisme, ça frise l’oxymore. Mais Sandrine qui était la première de sa bande à vivre en colloc avec des garçons n’a visiblement jamais eu peur d’être à contre-courant.

« Ado, j’étais un peu révoltée du Bounty et en même temps je brodais… Je me trimballais partout un ouvrage en cours, ça faisait rigoler la galerie, c’était ma singularité, je crois que j’étais fière de me distinguer par ça ! ».

Tu m’étonnes ! Mais au-delà de l’image, Sandrine a dès son plus jeune âge pratiqué son art comme on pratique un sport, le yoga, ou la méditation. Et alors que l’idée même de broder me donnerait des maux de tête, Sandrine m’explique que de tout temps, ce rituel quotidien est sa détente, son moment de rêverie et d’évasion, sa bulle de bien-être. Son sac à ouvrage ne la quitte jamais, il est le chapelet égrené qui berce ses rêveries, il sera de tous ses voyages.

Après avoir bouclé ses études de droit et sa spécialisation dans les travaux publics, sa carrière commence par une bourde. En postulant à la direction départementale de l’équipement, elle se trompe de numéro sur le formulaire administratif. Au lieu de Perpignan, elle a coché la case Strasbourg…

Elle perd toute sa bande d’amis et se retrouve seule, exilée loin du soleil de la méditerranée. En rigolant, elle dit qu’elle a fait comme dans les Chtis, elle a pleuré en arrivant et pleuré en partant, une expérience géniale et pleine de rencontres, son premier mari notamment.

« Ma vie est beaucoup faite de hasards positifs, j’ai du mal à programmer les choses, les choses se programment pour moi ! »

Sandrine Torredemer

Après Strasbourg c’est Paris et un appartement dans son jus loué au-dessus du marché Saint-Pierre, « avec le Sacré Cœur qui nous dégoulinait dessus ».

Elle me parle de cette deuxième étape de vie avec nostalgie, de cet appartement à la vue fabuleuse, de son premier fils né parisien, de son boulot intéressant au ministère, et des virées jubilatoires au marché Saint-Pierre pour dévaliser les rayons de coupons en promos.

Après Paris, c’est Marseille, pas si routinier la vie de fonctionnaire, dans le métier de Sandrine et de son mari, l’état vous fait voyager aux quatre coins de la France. Son deuxième fils sera Marseillais, ils habitent dans un palais Italien somptueux mais totalement vétuste, Sandrine adore le charme des vieilles pierres et ignore l’inconfort.

Les déménagements s’enchainent, à Béziers c’est dans un hôtel particulier de la vieille ville. Les enfants s’habituent aux palais spartiates et aux innombrables tissus brodés transbahutés d’une maison à l’autre. Si Sandrine ferme les yeux sur le confort moderne, elle ne transige jamais sur son atelier, sa pièce refuge dans laquelle elle entrepose son travail et ses caisses de tissus.

«Tous les soirs, scrupuleusement, je prends une aiguille, un fil, et je m’isole. Je fais quelque chose qui me fait du bien.»

Sandrine Torredemer

C’est au retour dans sa ville natale de Perpignan qu’elle fait sa crise de la quarantaine. Elle s’installe successivement dans un mas perdu, puis dans une maison de l’architecte cubiste Céret, puis enfin, dans cette maison des années 30 inspirée du style de Le Corbusier qu’elle habite encore aujourd’hui. Cette période de nomadisme trahit un flottement qu’elle compense par une production frénétique de mini coussins brodés offerts à tour de bras à ses amies ; L’une d’elles la voyant tourner en rond dans ce mouvement brownien lui glisse un jour cette phrase :

« Tu devrais te lâcher avec ta broderie… »

C’est le déclic. Elle commence à broder les phrases qui lui passent par la tête, de petits mantras un peu espiègles qui lui viennent à l’improviste, au moment où elle brode justement. Elle se lance aussi dans la fameuse technique de « l’appliqué » qui consiste à coudre à la main un motif avec des points invisibles sur un tissu de fond. Cette technique de base du patchwork détourné lui permet de créer des paysages sur lesquels elle s’amuse à broder des personnages, des fleurs, des arbres, des maisons, son art de tableaux faits de tissus et de fils est né. 

 

C’est au cours d’un voyage Montpellier-Naples en Austin Mini que sa première œuvre voit le jour. Dans le magazine Idéat qu’elle vient d’acheter pour le voyage, elle flashe sur une photo de la piscine de Toulon. Arrimée sur son siège passager, son sac à ouvrage à ses pieds et la photo du magazine sur le tableau de bord, Sandrine me raconte :

«ça a été hyper difficile à broder ! Il y avait des perspectives, des lignes d’eau, des couleurs, j’ai mis un temps fou, tout le trajet jusqu’à Naples !»

Sandrine Torredemer

Elle ne découvrira la piscine de Toulon que bien plus tard, ce sont les photos qui l’inspirent, plus souvent que la réalité.

Cette première création a mis le feu aux poudres. Son amie lui propose de faire une vente avec d’autres créatrices, ça marche au-delà de ses espérances, on est en 2018. Ses enfants la poussent à créer un compte Instagram @la_filature où elle poste toutes ses œuvres, le succès est immédiat. La journalise Elizabeth Quin la remarque et fait paraitre une de ses phrases brodées dans le Figaro accompagnée de ce commentaire :

« Sandrine Torredemer, la fille de Louise Bourgeois et de Boby la Pointe ! »

La boutique de la célèbre marque Les toiles du Soleil de Perpignan lui propose de vendre ses créations, puis la ravissante boutique Moustique à Arles, Amélie Maison d’Art et la Slow Galerie à Paris a, le coup est parti !

Sandrine se lève, va chercher son cabas, et me sort tous ses tissus bordés qu’elle étale sur la grande table, dont une œuvre représentant une autre piscine au bord de la méditerranée, la piscine de Toulon a fait des petits…

Depuis, Sandrine se consacre désormais à son art, et ce n’est pas un heureux hasard, ça s’appelle un destin.

Amélie est entrée dans la pièce avec des clients dans son sillage, nous déménageons à l’autre bout de la galerie, là où les œuvres de Sandrine sont exposées. Dans cette pièce immense ou les tableaux monumentaux dévorent le blanc des murs, les petits tableaux de Sandrine apparaissent comme des trésors lilliputiens. Sandrine a mis du rouge sur ses lèvres et sourit timidement face à l’objectif, pas facile d’être dans la lumière quand l’ombre a été toute sa vie sa meilleure amie !

Personnalité singulière, Sandrine Torredemer aura attendu un demi-siècle pour que sa passion au quotidien devienne à la mode et lui tende la perche d’une nouvelle carrière artistique.

Après toutes ces années de pratique ardente dans une solitude étourdissante, après la mode éphémère du point de croix l’année de ses 20 ans, après un tour de France professionnel et familial, après 3 enfants et une vie de juriste bien remplie, après une succession de maisons déglinguées au charme historique foudroyant, de hasards de la vie et de kilomètres carrés de coussins, torchons, nappes, serviettes, sacs et divers tissus brodés, Sandrine Torredemer est en passe de devenir une des stars de la broderie moderne.

Parce qu’en ce début du 21ème siècle, on réalise enfin que la broderie est une des plus anciennes forme de l’art.

Dans ce numéro qui sort fin mai, le Elle Déco l’a choisie avec 7 autres dans le pool de « jeunes » artistes de la très désirable galerie Amélie Maison d’Art pour illustrer un numéro spécial sur l’avenir. A cette occasion, elle a réalisé 50 exemplaires de son mantra préféré « On sémera tous les jours ».

Faites comme moi, ruez-vous sur ce numéro spécial du Elle Déco pour avoir la chance de gagner le mantra brodé de Sandrine, et venez découvrir ses œuvres chez Amélie Maison d’Art, parce que la broderie version 2022 n’est plus un stéréotype du passé, c’est sans doute une nouvelle façon de regarder notre monde de demain.

Photos Delphine Jouandeau

Texte Sylvie Arkoun

hi

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