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Category CHRONIQUE
Les pionniers de l’or éthique

« Je suis tellement heureux de voir que ce qu’on fait là-bas compte ici. »

La semaine dernière, j’ai rencontré Julio et Juliana Posadas.

Les Posadas père et fille habitent la petite ville de Teraza au nord de Medellìn en Colombie où ils exploitent une mine d’or, La Gabriela.

Je passe mon temps à voir des bijoux et j’ai pas mal bourlingué sur la planète, mais je n’ai jamais eu la chance de visiter une mine d’or. Normal, elles sont cachées aux yeux des curieux, jalousement protégées, accessibles seulement à des professionnels dument accrédités.

Alors quand j’ai reçu l’invitation de la marque JEM, acronyme de Jewellery Ethically Minded, à « rencontrer des mineurs Fairmined », j’ai répondu présent par retour de mail.

Aujourd’hui, il n’y a plus une marque de joaillerie qui ne clame pas sa vocation éthique, à croire que l’industrie du Luxe s’est transformée en giga ONG.

Mais qu’en est-il en réalité ?

Rencontrer des mineurs en chair et en os, c’était pour moi l’occasion de mieux comprendre si ce qui s’annonce ubi et orbi à Paris a un effet tangible sur la vie de ces travailleurs du bout du monde.

Surtout que là, on parle de la Colombie. Le pays de l’or et des émeraudes, mais aussi le pays des cartels de la drogue, des factions armées des forces révolutionnaires et de l’Armée de libération nationale toute-puissante.

Pas vraiment le genre de destination qu’une chochotte parisienne choisit pour siroter tranquillos un ti-punch sous les cocotiers…

Quand je suis arrivée au 10 rue d’Alger, dans ce triangle d’or où se nichent les marques de nouvelle joaillerie à deux pas de la place Vendôme, la boutique de JEM était vide.

Pas l’ombre d’un mineur, encore moins d’un journaliste. Juste trois clientes attirées comme moi par l’accroche insolite de l’invitation et par l’envie de rencontrer Dorothée Contour, la charismatique fondatrice de la marque.

Julio et Juliana finissaient une réunion, on nous a aimablement offert un verre. J’en ai profité pour admirer les bijoux présentés dans des roches miniatures façon jardin japonais.

Chez JEM, le parti-pris créatif est une ligne de crête qui chemine sans détour entre épure et force. Ici pas de chichi, pas d’égérie, pas d’accessoire factice, juste l’essentiel, des bijoux de designers dans leur lumineuse sobriété.

Quand Julio et Juliana ont débarqué dans la boutique en compagnie l’équipe de JEM, je me suis dit que ces deux-là arrivaient de la planète Mars, façon Crocodile Dundee dans les rues de la grande ville.

Un peu raides dans leur costume urbain, le teint caramel qui vire au bistre sous l’effet du jet-lag, et l’œil plein phare qui oscille entre fatigue et sidération.

Nous avons échangé quelques questions via leur traducteur mais pour l’histoire en VF, je me suis tournée vers Dorothée, leur cliente et hôtesse durant leur séjour parisien, et Patrick Schein le président de Gold By Gold – S&P Trading, la société d’affinage et de trading qui gère la relation entre eux, petits producteurs locaux, et les marques de joaillerie comme JEM.

Quand Julio découvre de l’or sur le territoire dont il a le droit d’exploitation en 1994, il vit des ressources de sa terre, agriculture, pisciculture, élevage. Il nomme la mine La Gabriela du nom de sa maman, et commence à l’exploiter artisanalement, comme le font tous les mineurs là-bas.

Mais contrairement au mythe, trouver de l’or ne suffit pas, c’est juste le début de l’épopée.

Il faut formaliser la ressource, obtenir des autorisations, et trouver les débouchés commerciaux.

Un combat titanesque dans un pays comme la Colombie et pour un homme comme Julio. En dépit de la montagne d’obstacles, celui-ci décide de faire les choses dans les règles, il se bat pour ses enfants.

Aujourd’hui, La Gabriella compte 12 mineurs et extrait environ 12 kg d’or par an. À l’échelle de la production mondiale d’environ 3 200 tonnes d’or, ça peut passer pour une broutille. À l’échelle de Julio, c’est le projet d’une vie.

Sa fille Juliana, la trentaine, s’exprime pour les deux. Le sourire éclatant malgré la journée interminable, je sens qu’elle est galvanisée par son séjour parisien.

Armée d’un diplôme d’ingénieur agronome, elle assure les missions de formation, formalisation et régulation de La Gabriella, dotée de la certification Fairmined depuis 2022 seulement.

Il aura fallu presque 30 ans à Julio pour que sa mine ASM (dans le jargon minier, ça veut dire Artisanal Small-scale Mining) joue dans la cour des grands.

C’est cette certification qui leur a offert leur billet Bogota-Paris pour participer au forum organisé par l’OCDE sur la traçabilité de l’or dans la filière des mines artisanales.

Alors que Juliana est happée par les clientes, je me retourne vers Patrick Schein, mille questions me viennent à l’esprit. Mais que vaut donc la certification Fairmined ?

Je sens que pour cet entrepreneur qui a consacré plus de trois décennies aux métaux précieux, l’or est aussi la passion de sa vie, et sa traçabilité son challenge.

L’aventure a commencé pour lui en 2006, il fait partie de l’équipe fondatrice de l’Alliance for Responsible Mining, l’ARM, qui a introduit les principes du commerce équitable appliqués à l’or et défini les premières normes de certification de l’or et le label « Fairmined ».

Depuis 2011, il a développé le marché émergent de l’or certifié artisanal responsable. Si Julio et Juliana sont là aujourd’hui, c’est grâce à lui.

En Colombie, sa société affine l’or brut de la Gabriela, valide sa certification, et organise le trading vers le client final. Le circuit est court et l’or traçable de A à Z, il me montre le numéro gravé à l’intérieur de chaque bijou JEM à côté du poinçon.

Concrètement, m’explique-t-il, cela signifie que La Gabriela a investi pour respecter les normes drastiques imposées par le label : équipement de la mine d’un système d’extraction sans mercure, formation des mineurs aux normes de sécurité, formalisation de leurs flux financiers.

Dorothée renchérit :

« On ne se rend pas compte vu d’ici, mais ne serait-ce que pour faire porter une combinaison et un casque à un mineur, c’est un challenge… La certification n’a pas fait qu’améliorer leur vie, elle les protège ainsi que leur terre et leur donne accès à un marché dont ils étaient spoliés ».

 

Dorothée Contour, fondatrice de JEM

En regardant Julio et Juliana siroter leur jus de fruit dans la belle lumière de la boutique JEM, je comprends la fierté de Dorothée Contour et de Patrick Schein.

L’or, comme les pierres précieuses d’ailleurs, a un pouvoir social prodigieux. Mais à quel prix ? Dorothée me répond cash :

« 4 € par gramme d’or pour toute marque qui se fournit en or Faimined , sur un prix du gramme d’or aujourd’hui autour de 59 €, ce n’est pas rien. Mais chez JEM, on a fait le choix de ne pas répercuter ce coût sur nos prix de vente, cela fait partie de l’engagement de la marque ».

À l’heure où toute la profession souffre de l’inflation sur les matières premières, je salue le choix de JEM. Financer l’or éthique, c’est rogner sur sa marge au détriment du marketing. Un pari audacieux pour une marque de luxe si j’en crois la réalité du marché.

À date, seulement quelques marques de créateurs dont JEM et Paulette à Bicyclette utilisent de l’or certifié Fairmined.

Les marques historiques de la place Vendôme et la majorité des créateurs affichent l’utilisation d’or recyclé plutôt que le label Faimined. Moins cher, moins compliqué, mais aussi beaucoup moins efficace selon Patrick :

« Le recyclage de l’or n’a aucun effet sur le volume d’or extrait. C’est pourquoi le message subliminal de responsabilité environnementale transmis par l’or recyclé est un leurre complet puisqu’il ne freine ni n’évite l’extraction. Pire, il n’est pas un indicateur de bonne provenance. »

Patrick Schein, Founding President at Gold by Gold – S&P Trading

Pardon ? Patrick est en train de bousculer une conviction profonde… J’étais persuadée que l’or recyclé ne provenait que de bijoux anciens, et le voilà qui m’explique que ce terme cache en réalité une forme subtile d’éco-blanchiment ?

Patrick poursuit son argumentation sans ciller : si vous recyclez de l’or de mines industrielles (80 % de l’extraction annuelle par rapport aux 20 % issus de mines artisanales, lesquelles sont 6 fois moins polluantes en émission de CO2 par gramme d’or), vous obtiendrez de l’or de mines industrielles après son recyclage.

CQFD.

La seule façon de garantir l’or éthique aujourd’hui, c’est d’encourager l’or Faimined, ou de revoir drastiquement la notion « d’or recyclé ».

On n’est pas au bout du chemin, mais la trace est bien là.

Creusée par des pionniers. Par Julio et Juliana Posadas, Patrick Schein, Dorothée Contour, et tous ceux qui se battent aujourd’hui pour imposer au marché un or éthique issu des mines artisanales plutôt que des mines industrielles plus polluantes.

L’épopée de ces pionniers de l’or éthique me semble aussi périlleuse que celle des chercheurs d’or dans les vallées arides du nouveau monde au XIXe siècle.

À une différence près.

L’enjeu, c’est aujourd’hui, de donner les moyens aux mineurs de faire le voyage dans l’autre sens, pour pouvoir dire comme Julio en contemplant ces bijoux ravissants façonnés à Paris dans l’or qu’il a extrait de ses mains en Colombie :

« Je suis tellement heureux de voir que ce qu’on fait là-bas compte ici. »

Et si on demandait tous de l’or Fairmined quand on achète un bijou ?

On a le droit de rêver non ?

Texte Sylvie Arkoun

Photos JEM

Pour en savoir plus sur l’aspect  écoresponsable des mines de métaux précieux, je vous conseille d’écouter l’interview passionnante de Lauriane Pinsault (géologue et mineur) par Chaïma Teisseire dans Precious Talk

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