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Category PORTRAIT
TOHUM, le langage des bijoux selon Verda Alaton

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« Dans les Arts Premiers, il y a cette idée d’expression et de body-endornment. J’ai trouvé ça magnifique, et depuis ce moment, je me suis demandée comment reprendre cette idée dans notre monde moderne. »

Vous avez dit TOHUM ?

TOHUM, ça veut dire « graine » en turc.

Mais ça, je ne l’ai appris qu’il y a 15 jours, au moment où j’ai rencontré la créatrice Verda Alaton chez elle, non pas à Istanbul où elle est née et où elle crée ses bijoux depuis 15 ans, mais dans son appartement qui flotte dans la lumière du lac Léman.

Avant, je fantasmais TOHUM, notamment sur ce collier en cauris porté par les plus célèbres icônes de la planète mode.

Leandra Medine, Naomie Campbell, Aerin Lauder, Kelly Rutheford et bien d’autres ont jeté un charme sur ce bijou devenu culte, le rendant aussi désirable qu’une rivière de diamants.

Ce joli coquillage en forme de grain de café, trophée des chasses au trésor de l’enfance, est devenu iconique depuis le lancement de la collection Concha de TOHUM.

Mais qui se cache derrière cette idée de génie ? Mystère.

Cet immense succès n’a pas convaincu sa créatrice de prendre aussi la lumière. Si vous jetez un œil à son Instagram, les stars sont ses bijoux, portés sur une très élégante mais anonyme chemise blanche.

Je ne connaissais pas Verda jusqu’à ce jour de juin où elle m’a contactée par mail pour me présenter sa marque.

Une marque de bijoux internationale, une mystérieuse créatrice turque mariée à un Breton qui vit au pays des Alpes… Pas banal. J’ai pris illico mon billet pour Genève.

En Suisse, on ne badine pas avec l’ordre et l’affabilité des chauffeurs de taxis genevois ferait pâlir de jalousie le concierge du Ritz. Seul bémol à cette image d’Épinal, une pluie diluvienne après l’été caniculaire nous a accueillies à la sortie de la gare.

Verda nous attendait en bas de son immeuble sous un parapluie deux fois plus grand qu’elle. Cheveux de jais et regard en amande pétillant, elle arbore sur chaque centimètre de sa peau dorée des coquillages, cristaux, perles, nacres entrelacés dans des chaines d’or et d’argent qui forment un rébus mystérieux.

Mais quel est donc le message subliminal envoyé par les bijoux de Verda ? Le paradoxe entre la sobriété de son look jean-chemise blanche et la puissance de ses ornements indique clairement que ce n’est pas l’habit qui fait Verda, mais ses bijoux !

Nous montons derrière elle les quelques marches qui mènent à son appartement, et là, c’est l’extase.

Dans la lumière naturelle et le grège sablé, sculptures en bois, coquillages géants, cristaux bruts, céramiques, beaux livres, tableaux tissés, meubles de designers, boites en marqueterie, matériaux organiques et objets d’art nous accueillent dans leur monde.

La pluie qui tambourine sur la trappe vitrée de la terrasse et le ciel à portée de main donnent l’étrange impression d’avoir embarqué avec Verda pour un long voyage.

Pendant qu’elle nous explique la fonctionnalité de ses repose-cous qui viennent de son pays préféré, le Mali, je comprends que depuis bien longtemps, elle ne se définit plus par sa nationalité.

Née à Istanbul, étudiante à New York, cadre supérieure dans les sociétés internationales dans sa première vie professionnelle, Verda m’explique qu’elle a navigué sur tous les continents avant de monter sa marque en 2008 à Istanbul.

« Tout a commencé à New York quand j’avais 20 ans. J’ai poussé la porte de la Galerie Ethnic Tribal Art, et je suis tombée en amour.»

Verda Alaton

J’ouvre grand mes oreilles, l’amour fou, c’est mon rayon.

Mais si on parle bien de passion, Verda précise que c’est pour les Arts premiers et notamment l’Art Africain que son cœur de jeune fille s’est emballé. Dans ma tête de néophyte, l’Art Premier fait référence aux sculptures imposantes du musée du quai Branly. J’ai du mal à voir le rapport avec le bijou.

« Dans les Arts Africains, il y a cette idée d’expression et de body-endornment, on porte des pièces atypiques de très grande taille. J’ai trouvé ça magnifique, et depuis ce moment, je me suis demandée comment reprendre cette idée dans notre monde moderne. »

Et là, je tilte. De ma grand-mère kabyle à toutes ces femmes au port altier et au regard de braise des tribus africaines, toutes ont en commun ces bijoux armures qu’elles arborent avec la superbe d’une amazone.

Verda va travailler à mi-temps dans cette galerie pendant les 2 ans de ses études, empilant ainsi à son diplôme en Ressources Humaines une spécialisation dans les Arts premiers. Mais elle démarre ensuite une vie professionnelle intense dans les ressources humaines, réservant à ses voyages sa passion pour les Art Premier en démarrant sa collection d’objets. Lentement, l’idée du bijou germe dans sa tête.

Le déclic a lieu en 2008. De retour en Turquie, pays où l’artisanat traditionnel a survécu à un siècle d’industrialisation accélérée, elle se décide à prendre des cours avec un artisan pour façonner des bijoux en argent. 

Les mains habiles de Monsieur Mardik, aujourd’hui pilier de l’atelier, réalisent les premiers protos de Verda qui les porte sur elle. La marque TOHUM est lancée.

 
 

« Alors que je suis plutôt timide et réservée par nature, je me sens libre de porter tout ce qui me parle. »

Et c’est justement ça qui va faire un carton.

Verda a repris à son compte cette coutume ancestrale, oser porter au quotidien une collection singulière de bijoux au volume cossu et à la sensualité organique sur sa tenue du quotidien.

 

C’est après 10 ans de succès dans son propre pays que  le tsunami de la ligne Concha propulse TOHUM sur le devant de la scène internationale.

En 2017, elle suit son envie de naturalité et commence à créer des charms  en plaqué or directement sur des cauris. À peine la nouvelle ligne Concha lancée, une influenceuse la contacte pour avoir un collier.

Verda lui envoie, sans réaliser que ce petit colis qui va faire Istanbul-New York par DHL, va changer la vie de sa marque.

Quand elle allume son téléphone un matin suivant, son compte Instagram a explosé et le premier message qu’elle lit parmi les innombrables reçus pendant la nuit lui dit :

« Tu sais qui a porté ton collier ??? La fille de The Man Repeller !!! »

 

Cette fille, c’est Leandra Medine Cohen, elle est plus puissante sur la mode planétaire que Carrie Bradswhay her self

En trois mois, TOHUM passe de Beymen, le grand magasin national Turc, à Net-à-Porter, qui couvre la clientèle luxe de tous les continents de la planète.

Les cauris initialement naturels sont moulés pour sortir directement en métal plaqué, et les deux ateliers de TOHUM poussent à fond la machine pour produire les quantités astronomiques en commande.

La vie de TOHUM bascule, mais Verda ne veut pas bouleverser la sienne.

« Cette pièce a été vendue par milliers dans le monde, ça m’a mis dans un état paradoxal. Le succès et la notoriété, dans mon égo, ça ne me touche pas. »

Verda Alaton

Evidemment, Verda est honorée. Mais dès la saison suivante,  la pression monte, il faut faire encore mieux que Concha.

Quand elle leur présente la collection Dunya, une corde de métal précieux qui tourne sur elle-même pour former un ravissant nœud, les acheteuses demandent pourquoi elle se lance dans quelque chose d’aussi compliqué à vendre. Le succès se referme comme un piège, que faire ?

 

Dunya restera telle qu’elle l’a conçue. Elle décide de  de gérer une croissance prudente pour conserver une dimension familiale à sa société plutôt que de céder aux sirènes du scaling rapide. Mais surtourt, elle garde sa liberté créative.

Depuis, Dunya est devenue une collection iconique, et la marque s’est depuis donnée les moyens de faire face à des pics de commandes importants.

Alors que j’enlève un à un mes bijoux minuscules pour me laisser guider par Verda dans ses associations audacieuses, elle conclut notre discussion sur ce paradoxe si juste entre création et succès commercial :

« Je pense que le challenge pour une marque comme la mienne, c’est de rester moi-même dans la création tout en restant visible »

Pari réussi.

Lumia, Nomad, Samsara, Savana, Terra… Toutes ces collections qui empruntent aux symboliques universelles pour créer le langage TOHUM se sont imposées dans la durée chez Matches Fashion comme dans les plus belles boutiques du monde entier.

La petite marque née au pays de l’empereur Constantin et du sultan Soliman le Magnifique n’a plus qu’un bastion à conquérir… La France !

La graine TOHUM est plantée dans le village Gaulois, je gage qu’elle montera jusqu’au ciel !

Texte Sylvie Arkoun

Photos Delphine Jouandeau

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