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Category PORTRAIT
Carole Chiotasso : le geste et la matière

« C’est l’évidence que je cherche dans mon travail, le beau met tout le monde d’accord ! »

CC, les mêmes initiales que Coco Chanel, un bon présage pour une créatrice dans le domaine luxueux de la joaillerie. Pourtant, Carole Chiotasso (prononcez « Kiotasso » à l’italienne) vient d’un domaine plus fondamental que le luxe : l’architecture.

Carole fait partie de cette génération d’architectes qui a appris à dessiner à main levée, passionnée par le beau, et qui a affronté un métier de combat, prise dans l’étau implacable de l’exigence des clients et l’imprévisibilité des artisans, un métier où la testostérone règne en maître.

Pas vraiment la nature profonde d’une jeune femme sensible d’un mètre soixante, passionnée par les beaux-arts, l’archéologie, la nature et la transmission.

Elle a rejoint la cohorte des architectes qui dessinent des bijoux, je pense à Zaha Hadid, India Mahdavi, Dina Kamal, Gaëlle Khoury, Elsa Peretti ou plus proche d’elle, le toulousain Marc Deloche.

Leur point commun ? L’amour de l’objet au-delà de l’ornement, la matière plutôt que les gemmes, l’équilibre des proportions sans les contraintes de la norme

Carole a un mantra : « Le bijou est un objet qui doit être admiré sous tous ses angles. »

C’est ce qui a attiré mon attention sur son Instagram il y a un an, après avoir écrit un article sur les mineurs de l’or Fairmined grâce à la marque JEM, précurseur dans ce domaine.

Carole Chiotasso fait partie du cercle très restreint des jeunes créatrices françaises ayant adopté cet exigeant sourcing éthique de l’or. Rien que pour cette raison, je me suis intéressée à son travail.

J’ai immédiatement admiré la délicatesse de ses dentelles d’or ciselé, et nous avons entamé un dialogue sur l’équilibre périlleux entre singularité et rentabilité pour tout créateur émergent. La réponse étant détenue par la créatrice elle-même, je devais rencontrer Carole et j’ai pris un train pour Narbonne un beau jour de juin.

De Paris, il faut quatre heures et demie de TGV pour atteindre la capitale vinicole du Languedoc à l’histoire millénaire, carrefour historique de tous les peuples de la Méditerranée de l’antiquité à nos jours.

Puis, à peine un quart d’heure à pied pour atteindre la boutique de Carole située dans le cœur de la vieille ville.

Je n’avais jamais mis les pieds dans cette partie de la Méditerranée et je n’ai pas perçu au premier abord la richesse millénaire de cette ville.

J’ai traversé le Canal de la Robine (classé au patrimoine historique de l’UNESCO) en empruntant le dernier pont habité de France. C’est en arrivant au 1 rue Cabirol que la pancarte de sa rue doublée d’une plaque ancienne m’a indiqué son origine, Via Domitia.

La boutique de Carole est en réalité située sur l’antique Voie Domitienne créée par l’empereur romain Auguste en l’an -118 pour relier l’Italie à la péninsule Ibérique en passant par la Gaule Narbonnaise.

Elle m’a accueillie sur le pas de sa porte en robe drapée fluide et sandales grecques, teint caramel, zéro maquillage et boucles brunes.

Son look de vestale moderne est totalement raccord avec ce flashback temporel.

Tout dans sa boutique-atelier exprime son amour pour la beauté des vieilles pierres révélées par la lumière du sud. Lettres dorées sur devanture en boiserie aubergine, vitrines traversantes ouvrant sur un cocon blanc sable, l’univers de Carole décline toutes les tonalités du sud, du sol en tomette Terracotta au mobilier et à l’établi en chêne qu’on aperçoit derrière une large ouverture.

On s’installe sur les fauteuils de bois clair et elle m’avoue sans détour qu’au tout départ, elle ne portait pas de bijoux, elle n’avait aucune affinité avec le bijou traditionnel…

Deuxième indice : Carole n’est pas du genre à raconter des histoires, et son storytelling sera vrai, ou ne sera pas.
De son accent chantant, elle m’a raconté son parcours : naissance à Montauban, formation et premier job à Toulouse, longue expérience chez un promoteur de maisons privées à Barcelone, suivi d’un retour à Narbonne dans une agence d’architectes.

Mais quel a été son déclic pour les bijoux ?

« Pendant mes 7 années à Barcelone, non seulement j’ai réalisé de très beaux projets dans le domaine de l’architecture, mais j’ai aussi eu la chance de m’immiscer dans le monde de la joaillerie ; J’ai découvert des galeries, le salon Joya Barcelona Jewelry & Object, et surtout, la marque Majoral. »

Carole Chiotasso

Avec Majoral, dont la première boutique est à Majorque, elle découvre un nouveau langage joaillier qui résonne en elle. Un langage où symbolique, dessin et matière créent du sens, et elle décide de faire l’école de joaillerie de Barcelone en 2007.

Mais c’est en revenant travailler à Narbonne après la crise financière de 2008 que son désir de changement s’épanouit. Les projets publics et les logements mal ficelés se succèdent, les combats l’usent et elle réalise que son métier n’est plus en phase avec son éthique personnelle.

Troisième indice : Carole est intègre, l’alignement de ses valeurs à celles de son travail est son moteur.

Pour combler son besoin de création, elle poursuit sa formation chez une joaillière espagnole proche où elle apprend le travail sur la cire et la sculpture.

« J’ai tout de suite aimé le travail de la matière directe, et j’ai vite eu l’impression que je pouvais faire quelque chose de mes dessins et de mes mains. »

À partir de ce moment, elle s’achète un établi, s’exerce au prototypes et réalise ses premières commandes.

Comme pour beaucoup de créatrices récentes, la crise sanitaire a un effet accélérateur sur son projet de changement. 

Elle remplit ses cahiers d’inspirations, déniche un fondeur à Montpellier, mais le choix de l’or Fairmined va s’imposer à elle comme une évidence, l’éthique sera au cœur de sa marque. 

Ce choix l’oblige à utiliser le seul fondeur français affilié au label Fairmined, situé à Paris, et restreint considérablement ses possibilités de sous-traitance. Mais qu’importe ! Elle fabrique (presque entièrement) tous ses bijoux elle-même.
Quatrième indice : Carole ne transige pas avec ses choix.

En février 2021, sa marque éponyme signée In Auro Veritas voit le jour sur Instagram et au 1 rue Cabirol sous le label Fairmined.

C’est le moment de l’interview où je ne tiens plus en place.

Carole m’ouvre les jolies vitrines de chêne clair dans lesquelles chaque bijou forme un motif décoratif et pendant que je passe ses dentelles d’or et ses talismans poétiques, elle me montre la genèse de ses 7 collections sur ses cahiers de dessin :

Le voyage commence avec Pyrgi, village de l’île grecque de Chios en mer Égée.

Puis Esna, motif ajouré d’une tresse antique égyptienne.

Giola, larme d’Aphrodite creusée par la grande bleue dans un roc de l’île de Thassos.

Onou, géométrie essentielle des cercles concentriques de la ville du soleil.

Monjoie, mausolée de l’aqueduc antique au cœur des vignes narbonnaises.

Alba, monnaie du pape ou la fleur talisman. Pépites, retour aux origines de l’or orné d’un diamant.

Cinquième indice : Le voyage initiatique de Carole de Narbonne à la mer Égée est raconté par ses bijoux.

Mais comment Carole fabrique-t-elle ces bijoux à l’or aussi dessiné qu’un pétale de fleur ou qu’une écorce végétale ?

Carole passe à son établi, parce que c’est là que toutes ses idées prennent vie.

Le bracelet Pyrgi est né d’un infini goutte à goutte de cire bleue.

La subtile tresse d’Esna doit la beauté aléatoire de ses vides à un patient travail de polissage à la feuille de papier de verre.

La brillance vibrante du pétale d’Alba doit sa subtile irrégularité à un savant recuit de l’or.

Sixième indice : le temps est une variable essentielle de l’élaboration des bijoux de Carole.

 

Et si c’était le temps passé sur chaque pièce qui créait cette patine unique de la beauté évidente, intemporelle, universelle ? 

Dans leur vitrine, ils ont la brillance subtile des trésors qui émergent du passé. Portés, ils ont l’évidente simplicité d’un ornement du quotidien.

« C’est l’évidence que je cherche dans mon travail, le beau met tout le monde d’accord ! »

Je repense à notre discussion d’il y a quelques mois sur la rentabilité et sur son corollaire, l’industrialisation.

Carole m’explique que pour l’instant, aucun moule ne peut reproduire ce travail obsessionnel sur la matière qui l’attache chaque jour à son établi. Et elle ajoute avec un doux sourire :

« On sent la main sur mes bijoux. On ne la sentira plus si on mécanise trop. »

L’épopée précieuse de Carole Chiotasso se termine avec ce septième indice : garder le cap n’est-il pas la garantie d’un voyage réussi ?

« Heureux qui, comme Carole, a fait un beau voyage. » 

Celui de Carole ne fait que commencer, elle vient d’y ajouter une nouvelle étape avec la ligne Pépites ornées de diamants éthiques.

 J’embarque avec elle, et je gage que ses bijoux rayonneront bien au-delà de la Méditerranée !

Texte Sylvie Arkoun

Photos Delphine Jouandeau

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