« Quand j’arrive à l’atelier, je me sens libre, je n’ai pas l’impression de travailler »
Un couple qui bosse ensemble, c’est un archétype, surtout quand ils ont trouvé l’amour sur le chemin de leur passion première, leur travail.
Dans la vie de tous les jours, il y a le pharmacien et la pharmacienne, le boulanger et la boulangère dans la vie rêvée, il y a Jane Birkin et Serge Gainsbourg, Zizi Jeanmaire et Roland Petit, Simone Signoret et Yves Montand. Et puis il y a Johanna et Raphaël Dantz, un couple qui s’est trouvé dans le monde de la joaillerie, qui travaille, vit, s’aime, s’engueule et crée au quotidien des bijoux précieux uniques sous la marque Raphaël DANTZ.
J’ai rencontré Johanna et Raphaël sur le salon Première Classe des Tuileries il y a presque un an. Je connaissais le travail de Raphaël par son Instagram, j’aimais bien son style sobre et design, ses jeux de lumière et la belle allure architecturale de sa joaillerie.
Sur le salon, ils m’avaient présenté leur collection Eakan, « essentiel » en arménien, un mini solitaire enfilé sur une chaine.
Le concept avait du charme, clin d’œil au geste qu’on a tous fait un jour, soit qu’on ait hérité d’une bague trop petite ou trop grande, soit qu’on fasse un métier qui exclut qu’on porte une bague, soit qu’on aime inventer une nouvelle façon de porter un bijou pour le hisser au rang de talisman.
Je les avais remarqués tout de suite parce que leur complémentarité a de la gueule. Lui, l’allure Gainsbourienne, la mèche rebelle poivre et sel et le chic désinvolte de lendemain de fiesta. Elle, le charme dévastateur des filles du sud qui fonctionnent à l’énergie solaire.
Raphaël commençait des phrases que Johanna finissait, ce qui me faisait marrer et portait à son comble ma curiosité mêlée d’un brin d’envie… Un couple qui travaille ensemble, s’est pour moi une gageure.
Si j’avais bossé avec mon mari, nous en serions au stade ultime de « La guerre des Roses », ce couple en crise incarné par Michael Douglas et Kathleen Turner qui finit écrabouillé par le lustre en cristal de leur maison bourgeoise…
On avait parlé stratégie, je leur avais donné mon avis alors qu’il ne m’avaient rien demandé, mais on s’était quittés bons amis. Ils m’ont rappelée récemment, ce que je leur avais dit quelque mois auparavant avait fait son chemin.
Je suis descendue les voir dans leur boutique-atelier de Cannes un beau lundi de novembre, un de ces lundis où l’on se dit que c’est de la folie de vivre à Paris quand le soleil est à une heure d’avion.
On s’est installés dans leur jolie boutique fermée juste pour nous, Raphaël commençait les phrases et Johanna les finissait. Ils m’ont raconté leur histoire et j’ai démêlé le fil qui mène à ce qu’ils sont aujourd’hui et qui les conduira sans doute à ce qu’ils seront demain.
Tout commence sur la Riviera, entre Cannes et Nice où ils sont nés tous les deux. La mère de Raphaël est une belge flamande d’Anvers tombée amoureuse d’un varois d’origine arménienne, son père est boucher, ça ne s’invente pas !
Raphaël me raconte en rigolant que si sa mère a quitté la ville des diamantaires pour un commerce de bouche sous le soleil de la méditerranée, elle a emporté dans sa valise son atavisme pour les bijoux. Elle en fabrique et les vend sous le comptoir à ses amies et clientes de la boucherie. Le petit Raphaël s’ennuie ferme à l’école, il est fasciné par ses voyages à Anvers où il accompagne sa mère, ce nord mystérieux l’aimante. Quand en pleine crise d’adolescence il se demande ce qu’il va faire de sa vie, un ami de sa mère lui glisse :
« Pourquoi tu ne ferais pas bijoutier ? Tu peux bien gagner ta vie, et c’est un vrai métier. »
Je demande à Raphaël, c’est quoi un vrai métier ? Il me répond :
« Un vrai métier, c’est un métier qui te permet de vivre partout, un métier où tu es libre, indépendant, parce que tu as juste besoin de tes mains, d’un établi et de tes outils ! »
Raphaël Dantz
Raphaël a trouvé une excellente raison de choisir son métier, la liberté de créer, de travailler avec qui il veut, quand il le veut, où il veut.
Est-ce qu’il réalise que cette vocation qui lui vient de sa mère le rapproche aussi de ses origines arméniennes paternelles ? Il me répond que c’est un hasard qu’il a du mal à s’expliquer. Moi je ne crois pas aux hasards. De l’atelier de Selim Mouzannar au Liban que je connais bien à tous les sous-traitants de la place Vendôme installés rue Cadet, je lui fais remarquer que le métier d’artisan-joaillier est trusté par les arméniens. Raphaël réfléchit et me répond finalement :
« Peut-être parce que c’est justement un métier que tu peux faire partout dans le monde, et que quand tu as perdu ton pays, cette liberté-là est essentielle… »
A 18 ans, Raphaël part en Belgique faire l’école des Arts et Métiers de Namur, ça ne vaut pas l’école du Louvre mais c’est plus rock’n roll. Dès la première semaine, il sait qu’il a trouvé sa place, il se sent à l’aise devant un établi, il sera artisan-joaillier.
A la sortie de l’école, c’est tout naturellement qu’il prend la direction d’Anvers, ce sera la première étape de son périple initiatique dans les ateliers de joaillerie des grandes capitales.
Dans cette première expérience, il se fait la main sur l’or et rencontre un personnage intermittent mais central dans sa vie, le sertisseur Giovanni, un flamand pur jus, ingénieux, âpre au gain, ambitieux.
Raphaël apprend le français à Giovanni, le flamand lui propose un job dans un atelier. Les deux amis ont la bougeotte et quand une cliente qui n’est autre que la femme de Quincy Jones leur propose de venir la voir à Los-Angeles, ils foncent !
C’est donc avec Giovanni que le périple va se poursuivre sur la côte pacifique de la Californie, là où les riches américaines dépensent des fortunes en bouchons de carafe précieux.
Ils vont passer presque deux ans à expérimenter le métier d’artisan-joaillier dans un pays où le droit social est un gros mot.
D’abord chez un latino qui règne sur une équipe d’arménouches (Arménien en arménien…) déjantés qui dorment à l’atelier, boivent de la vodka dès 10h du matin et écoutent du hard rock à fond dans une pièce enfumée sans fenêtre.
Puis chez un italien roublard qui mène ses artisans à la baguette pour augmenter leur productivité. Le boss ne cesse de lui répéter :
« Tu ne vas pas assez vite Raphaël, tu veux être le meilleur bijoutier du monde ou quoi ? On s’en fiche, moi ici, je veux une bague par jour ! »
Les bijoux sont sans âme, un peu comme le boss italien, et le vieux continent lui manque.
Il prend son billet de retour, cette fois-ci direction Paris pour travailler dans les ateliers de sous-traitance de la place Vendôme du quartier de la rue Cadet. De Grisogono, Cartier, Van Cleef… des pièces fabuleuses atterrissent sur son établi.
Il apprend la dure vie de l’artisan-salarié pressurisé par l’exigence schizophrène des grandes maisons, rapidité et excellence. Il réalise que son salaire modique est une décimale en regard de la valeur des pièces qu’il façonne de ses mains expertes.
« Un jour, j’ai eu un déclic, je me suis dit qu’il fallait que j’ouvre ma propre affaire »
Raphaël Dantz
En 2006, il quitte Paris, remonte à Anvers, et là, c’est l’alignement des planètes. Son ami Giovanni lui propose de le rejoindre dans son propre atelier équipé de machines supersoniques qui sertissent les diamants à la vitesse de la lumière et il rencontre Johanna. Hasard ?
Il n’y a pas de hasard que des rendez-vous… Johanna est de Nice, comme lui. Après une école de commerce, elle est venue à la joaillerie par passion et par le hasard des rencontres, comme lui. La foudre leur tombe sur la tête. Le lendemain, quand Giovanni demande à Raphaël où il va habiter, c’est sans hésiter qu’il répond « chez Johanna » !
Raphaël et Johanna entament le nouveau chapitre de leur vie, ça sera désormais ensemble. Lui fabrique pour Martin Katz et Tiffany (des grands), elle se fait un œil de lynx et se construit une expertise de diamantaire. Cinq ans passent, tout va bien, si bien que le petit Sacha pointe son nez. Pas question d’élever un bébé loin de ses grands-parents et de la lumière du sud, back to the roots !
C’est enfin le moment de lancer sa propre affaire.
Grâce à un parrain roi du commerce, Raphaël déniche cette petite boutique de la rue Tony Allard, idéalement située dans ce quartier si convoité entre la croisette et la rue d’Antibes.
Il rénove le lieu, le décore à son goût, cuir et bois, belles photos, clairs-obscurs.
C’est beaucoup d’argent, il se fait des cheveux blancs mais ça vaut le coup !
Son atelier est caché en mezzanine, la boutique sobre et lumineuse plait à la clientèle exigeante de Cannes, on est en 2012, l’artisan-joaillier Raphaël DANTZ est né.
« Quand j’arrive à l’atelier, je me sens libre, je n’ai pas l’impression de venir travailler »
Raphaël Dantz
Raphaël fabrique des pièces uniques pour ses clients, beaucoup de bagues de fiançailles, des bijoux d’exception, mais il a envie de marquer l’empreinte de son propre style.
Quand sa fille Mia nait en 2015, qu’offrir à Johanna ? Une énième bague ? Elle porte déjà un sublime solitaire et un cœur en saphir rose.
C’est en contemplant les adorables menottes de sa fille que lui vient l’idée. Il se met à son établi et créé un solitaire miniature.
Johanna adore, enfile la mini-ring sur une chaine et la porte sur son joli décolleté. C’est gracieux, précieux, curieux, tout le monde en veut ! La collection Eakan, l’essentiel de Raphaël DANTZ est née.
On est dans la boutique depuis ce matin, dehors il y a un rayon de soleil, vite j’en profite pour tout essayer dans la lumière dorée. Les mini-ring évidemment, parce que depuis le lancement, Raphaël a sorti plusieurs modèles de bagues emblématiques sous leur forme miniature, la chevalière Sacha et l’anneau carré Arman sont venus d’ajouter au mini solitaire Mia.
Je passe aussi sa dernière collection Metropolitan sertie de diamants baguettes, entre référence aux gratte-ciels des métropoles modernes et inspiration des sculptures d’acier de Bernar Venet.
Plus graphique, Metropolitan détourne les lignes de l’architecture moderne pour faire jouer le rayon de lumière dans la matière précieuse comme Eakan détourne la symbolique du solitaire traditionnel.
Raphaël m’avoue qu’il n’est pas un communiquant, ce qu’il aime, c’est faire des bijoux qui ont du sens.
Les idées lui viennent quand il est à son atelier, il doit les réaliser dans l’instant, avant qu’elles ne disparaissent dans les limbes du quotidien.
Il joint le geste à la parole, saisit deux diamants taille baguette avec sa pince et les pose délicatement sur la bague Metropolitan que je porte au doigt. Et voilà !
Comme cette idée d’une prochaine collection qu’il me montre sur une photo en glissant dessus les pièces d’or façonnées déjà prêtes à souder.
L’artisan joaillier Raphaël DANTZ est devenu créateur, il n’y a plus qu’à suivre le fil pour dessiner la suite.
C’est la fin de l’après-midi, le soleil de novembre de la riviera a fini par capituler.
On rassemble tous les bijoux, range les vitrines, ferme la boutique, Johanna et Raphaël doivent rentrer pour retrouver Sacha et Mia.
Parce qu’un couple qui travaille, vit, s’aime, s’engueule et crée au quotidien des bijoux uniques en or et diamants, c’est aussi un couple qui s’occupe ensemble… de ses enfants !